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jeudi 28 juillet 2011

Le projet Mars, de Andreas Eschbach


A propos des grands auteurs qui écrivent pour la jeunesse, voici Andreas Eschbach, l'auteur de Des milliards de tapis de cheveux. Sa dernière série de romans se déroule sur Mars, en compagnie des quatre premiers enfants nés dans la première colonie. On y retrouve une écriture des plus agréable, une intrigue bien ficelée, mais aux ramifications moins complexes que pour Des milliards de tapis de cheveux.
La colonie terrienne de Mars se porte bien, mais végète faute de crédits suffisants pour continuer les navettes entre la Terre et la planète rouge et surtout faute de volonté politique. Dans cet univers un peu confiné, une décision venue de la Terre fait l'effet d'une bombe : la colonie va être abandonnée par ordre du gouvernement mondial. Une décision qui ravit l'administrateur de la colonie, envoyé sur Mars contre son gré, mais plonge les autres colons dans le désespoir, et en premier lieu ses quatre enfants. Tandis que les adultes se résignent à retourner sur Terre, les enfants, eux cherchent tous les moyens pour rester dans ce qu'ils considèrent comme leur maison, la seule qu'ils connaissent. C'est le cas en particulier d'Elinn, la plus jeune, qui est persuadée que les Martiens cherchent à communiquer avec elle par le biais de mystérieuses pierres. Mais même son frère Carl, et leurs amis Ronny et Ariana doutent fortement de l'existence de ces Martiens dont on n'a jamais trouvé aucune trace et qui ne se sont jamais manifestés auprès des colons.
Voici la situation qui se met lentement en place. Andreas Eschbach prend comme à son habitude le temps de planter le décors, et explique habilement sans jamais pontifier les tenants et les aboutissants de son univers, cette fois-ci du point de vue de jeunes adolescents, qui s'intéressent au monde qui les entoure tout en laissant de côté des points qui paraissent cruciaux aux adultes. Aucune faute de goût dans ces trois tomes de la saga martienne, le tempo est bien défini, entre une vie routinière et les événements exceptionnels qui viennent la bousculer. Les enfants grandissent aussi, apprennent la vie, s'interrogent sur leur avenir sans manichéisme. Les personnages secondaires sont complexes, chacun développe une personnalité particulière. Et à la fin de chaque tome, une révélation vient nous tenir en haleine pour la suite des aventures. Ainsi se construit sans hâte la saga martienne d'Andrea Eschbach, pour notre plus grand plaisir. Seul défaut : pas de quatrième tome en vue...

mardi 19 juillet 2011

Jasper Fforde, le délire aux commandes

Comme Jasper Fforde a décidé de s'attaquer à la jeunesse en publiant une petite aventure dragonnesque, il est temps de dénoncer ce pas triste personnage, échappé des plateaux de tournages cinématographiques pour coucher sur papier des délires teintés de science littéraire. Comment résumer ses livres ? A vrai dire, personne n'en a envie. Chacun d'eux est un empilement de trouvailles loufoques et décousues qui prennent lentement place dans un canevas tout au long du déroulement de l'histoire pour aboutir à un déchainement de forces sans précédents laissant pantois le lecteur moyen, déjà souvent entièrement secoué de spasmes de rires. Il y a du James Ellroy dans la manière de mener son histoire à multiples fils pour aboutir à une corde, mais nulle trace de la paranoïa de l'auteur américain. Ici, c'est le délire qui est aux commandes, tant dans les inventions de l'oncle Mycroft que pour la mise en scènes des héros de la littérature anglaise. Déjà, s'appeler Thursday Next, affectée à la brigade de sureté littéraire d'un royaume d'Angleterre qui est toujours en guerre contre la Russie en Crimée, et avoir pour père un voyageur dans le temps recherché par la police temporelle pour un forfait qui n'a pas encore eu lieu (ou bien si, avec les décalages horaires, on ne sait plus très bien...), voilà qui peut se révéler périlleux.

Et on ne vous dira rien des autres tomes de la série, sauf qu'on y découvre le chat du Cheshire en bibliothécaire, la manière de voyager dans les livres, un puits sans fonds, Mamie Next, le Minotaure, sans compter Picwick le dodo régénéré et la fin du monde en mousse rose.
Pour son incursion dans le roman jeunesse, Jasper Fforde reprend les mêmes ficelles, mais elles sont moins échevelées. J'ai beaucoup aimé son dragon, plein d'humour et d'intelligence, le dernier de son espèce, mais c'est tout de même un peu plus sage et moins truffé de références littéraires.
C'est toujours un excellent moyen de passer un moment léger, mais plein de suspence, dans des Angleterres revisitées.

PS : par le plus grand des hasards, je viens de lire un article sur la place des femmes dans la Scandinavie médiévale (on a les vices qu'on peut...), et j'y ai trouvé au détour d'une phrase l'explication d'un concept Ffordien. Moi qui trouvais que son dernier roman manquait de références littéraires, je n'ai plus qu'à me mettre aux sagas scandinaves, et dans le texte encore...

vendredi 8 juillet 2011

Lost in space : Destination ténèbres, de Frank M. Robinson

"La seule chose dont je me souviens, c'est que j'ai vu quelque chose d'extraordinaire le matin du jour où je suis mort."

Ainsi commence The dark beyond the stars (le titre VO est quand même nettement plus subtil) de Frank M. Robinson, devenu aujourd’hui un classique de la science-fiction outre-Atlantique et dont on attendait la traduction depuis près de vingt ans. Journaliste, éditeur, scénariste (on lui doit le scénario de La tour infernale), militant de la cause gay, Frank M. Robinson est un écrivain plutôt méconnu en France, même si les lecteurs les plus avertis s’étaient probablement procuré l’un de ses premiers romans, Le Pouvoir, publié il y a quelques années chez Folio SF.

En mission de reconnaissance sur une planète inhospitalière, Sethi IV, le jeune Moineau fait une chute vertigineuse à laquelle il ne réchappe que par miracle. Rapatrié en urgence à bord de l’Astron, il se réveille dans un environnement qui lui est totalement étranger car Moineau a perdu l’ensemble de ses souvenirs dans l’accident. Le jeune-homme, âgé seulement de 17 ans, découvre alors qu’il se trouve à bord d’un vaisseau interstellaire dont la mission est d’explorer la galaxie à la recherche d’une forme de vie (intelligente ou non). Mais depuis 2000 ans qu’il s’enfonce au plus profond de l’espace, l’Astron n’a rien découvert, sinon des centaines de planètes désolées, inhospitalières et dépourvues de la moindre parcelle de vie. Alors au fil des siècles l’Astron s’est transformé en vaisseau générationnel, l’équipage se renouvelant au gré d’un système de contrôle des naissances très sctrict. Depuis 2000 ans il est dirigé par le même homme, le capitaine Kusaka, un personnage inflexible, obnubilé par sa mission et déterminé à mener son vaisseau à travers les étoiles jusqu’à ce qu’il remplisse enfin ses objectifs. Mais au sein de l’équipage la révolte gronde car Kusaka semble avoir perdu la raison, il veut désormais traverser la nuit, une partie de la galaxie totalement dépourvue d’étoiles, pour explorer une région qu’il espère plus riche en découverte. Mais il faudra à l’Astron plusieurs siècles pour traverser la nuit, sans pouvoir faire une seule halte, autant dire que le voyage confine au suicide pour un vaisseau déjà usé par plus de deux millénaires d’errance à travers le vide.

D’un premier abord, Destination ténèbres apparaît comme un roman de facture assez classique, usant avec talent des codes du space opera et de la hard science. En réalité il n’en est rien, car Robinson prend le contre-pied de ce qui se fait habituellement dans le genre ; ici point de civilisation à l’échelle de la galaxie, pas de technologie exotique permettant de traverser en un éclair l’équivalent de 300 parsecs, rien d’autre que le vide sidéral, la fatigue et la lassitude accumulée par plusieurs centaines de générations. Le roman est bâti sur deux axes, le premier est relativement classique, il est centré autour de Moineau et de son passé. En reconstruisant la mémoire du jeune-homme on découvre progressivement l'histoire étonnante de l’Astron, de son écosystème replié sur lui-même, on en découvre le fonctionnement au quotidien, les étranges règles de sociabilité, l'évolution des moeurs... dépaysement garanti. Le second axe est de nature plus philosophique puisqu’il est centré autour du paradoxe de Fermi et de l’équation de Drake (deux équations établies par d’éminents scientifiques et qui sur des bases similaires mais des conclusions radicalement opposées tentent de répondre à une question essentielle : sommes nous seuls dans l’univers ?). Ces deux principes sont au coeur même de l’affrontement idéologique qui divise le vaisseau, entre les partisans du capitaine, persuadés que l’immensité de l’univers joue en faveur de leurs arguments, et les partisans du retour sur Terre, persuadés qu’en 2000 ans les extraterrestres avaient largement eu le temps de se manifester. Mais rien n’est simple, rien n’est jamais définitif et Robinson intègre à cette balance des équations mathématiques de nouvelles données, qui indiscutablement pipent les dés. Mais sous peine de déflorer intégralement l’intrigue, on se gardera bien d’en évoquer ici le contenu.

Construit comme un huis-clôt, traversé par une tension digne des meilleurs thrillers, vertigineux par certains aspects, Destination ténèbres est doté d’une construction narrative en béton armé, qui réserve nombre de surprises au lecteur et ménage le suspense de manière assez habile. Bourré d’idées, bien écrit et formellement très maîtrisé, ce roman fait figure d’incontournable dans un paysage éditorial qui manquait singulièrement de piquant ces dernières années ; pas de quoi pavoiser néanmoins concernant l’état de santé de la science-fiction car il s’agit là d’un roman âgé de près de vingt ans.