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vendredi 30 septembre 2011

SF anarchiste (de droite) : Révolte sur la Lune de Robert Heinlein

Auteur déroutant et controversé, Robert Heinlein est un écrivain dont les contours politiques restent difficiles à cerner. C’est que le personnage ne peut être défini comme un bloc monolithique et chacun de ses romans explore l’une de ses personnalités. Comment expliquer en effet que En terre étrangère ait pu exercer une certaine influence dans les milieux hippies des années soixante alors que Etoiles, garde à vous ! valut à Heinlein les foudres de l’intelligentsia de gauche, qui n’y voyait qu’un roman militariste tendance fasciste. Heinlein était-il schizophrène, adepte du grand écart idéologique ou bien un simple auteur de science-fiction à l’imagination fertile et décomplexée ? Certes, il est toujours délicat d’analyser la pensée d’un auteur à travers le prisme de son oeuvre, mais on a peine à retenir la seconde proposition tant ses romans ressemblent à des essais de politique dans lequel l’auteur déroule sa rhétorique avec parfois la subtilité d’un Maccarthy au meilleur de sa forme (Certains passages de Marionnettes humaines font preuve d’un anti-communisme qui fleure bon la paranoïa aigüe). Dans ses mémoires, Isaac Asimov évoque le cas de son ancien ami et souligne l’influence des épouses successives de Robert Heinlein dans l’évolution de sa pensée politique, notamment celle de sa dernière femme issue d’une famille ultra-conservatrice. L’explication a le mérite d’exister, mais elle paraît hautement insuffisante, je ne saurais trop conseiller aux lecteurs avides d’une théorie plus étayée, de lire l’excellent essai de Hugo Bellagamba et Eric Picholles, Solutions non satisfaisantes : une anatomie de Robert Heinlein, nulle doute qu’ils y trouvent une réponse plus solide.

Durant plus de six cents pages, le lecteur suit le parcours plutôt mouvementé de Manuel Garcia O’Kelly (alias Mannie), un informaticien freelance originaire de Luna city, principale ville de la colonie pénitentiaire de la Lune. Un personnage étrange, un peu falot par certains côtés mais parfois traversé par de brefs éclairs de lucidité. Raisonnablement compétent, il a le privilège d’assurer la maintenance de “Mike” l’ordinateur central qui contrôle l’ensemble des fonctions vitales de la colonie. Doté de capacités de calcul sans égal, Mike n’est pas sans évoquer HAL9000, dans le sens où l’on assiste à l’émergence d’une véritable intelligence artificielle, capable de mener une conversation, d’apprendre, voire de penser de manière indépendante de sa programmation ; tout du moins est-il capable de l’interpréter à sa manière. Au cours de ses échanges avec Mike, Mannie réalise donc que l’ordinateur central développe progressivement une véritable personnalité et qu’ils nouent ensemble une relation d’amitié durable. Cette amitié aura d’ailleurs une influence considérable sur le cours des événements et conditionnera le contournement (voire la trahison) des instructions initiales de l’ordinateur en faveur de ses amis. La colonie lunaire connaît en réalité une grave crise structurelle, le déséquilibre entre hommes et femmes est important, ce qui explique l’établissement d’une société polyandrique, mais surtout les ressources du satellite sont surexploitées car les colons ont des quotas de production agricole à respecter ; chaque jour un catapultage de nourriture est supervisé par l’Autorité lunaire (l’administration imposée par la Terre). A ce rythme, les ressources seront épuisées en un quart de siècle menaçant le fragile équilibre acquis par les pionniers. La contestation gronde plus ou moins chez les colons, ici et là quelques réunions clandestines sont organisées, au grand dam de l’Autorité lunaire, dont les forces sont finalement assez réduites, mais c’est la répression d’un de ses mettings qui déclenchera le processus révolutionnaire. A la suite d’un l’affrontement avec les policiers de l’Autorité, Mannie et deux de ses amis (Wyoming Knot et le Pr de la Paz) se réfugient dans une chambre d’hôtel qui devient l’embryon de leur quartier général. Avec l’aide de Mike, ils imaginent la structure même de la rébellion, les stratégies à mettre en place et les ruses qu’ils pourront employer pour remporter en dépit de leurs faiblesses la bataille contre la Terre. Mike devient en réalité le coordonnateur de la rébellion, il est le seul à en connaître la hiérarchie et l’organisation. L’objectif des rebelles est d’obtenir l’indépendance de la Lune et une redéfinition des relations commerciales entre la colonie et la planète mère.

Révoltes sur la Lune est tout à fait représentatif des lignes de fracture qui traversent l’oeuvre de Robert Heinlein. Soutenu par un discours très fortement influencé par la pensée libertarienne, la première partie du roman est rien moins qu’un condensé du manuel du bon petit révolutionnaire, agrémenté de quelques techniques de guérilla spatiale ; de quoi entretenir la confusion et faire passer Heinlein pour un anarchiste. On pourrait toujours rétorquer que les adeptes de la pensée libertarienne représentent une forme d’anarchisme de droite, d’ailleurs Heinlein lui-même n’est pas dupe et son professeur de La Paz se revendique de “l’anarchisme rationnel”. En réalité, le discours d’Heinlein se tient parfaitement et répond à une doctrine finalement simple : ériger la liberté individuelle en principe absolu. L’organisation de la société sélénite, son combat contre la domination terrienne, les stratégies mises en place, répondent toutes à ce principe qu’en France on qualifierait tout simplement d’ultra-libéral. Ce qui est amusant c’est de constater que la Terre concentre pour Heinlein tous les défauts traditionnellement pointés par les libéraux ; elle est surpeuplée (Malthus a encore frappé), autoritaire, minée par l’intertie d’une bureaucratie kafkaienne, rétrograde et incapable d’évoluer. A contrario, la colonie lunaire est présentée comme un modèle d’adaptation à un environnement hostile, c’est une société ouverte, tolérante, travailleuse, capable d’initiative, l’action étatique est réduite à son strict minimum (pas d’école gratuite, pas de police, pas de justice organisée... bref pas de services publics et donc en conséquence pas d’impôt). Heinlein considère que toute forme d’organisation étatique est contre-productive et que l’impôt n’est pas une nécessité car l’argent dépensé pour soi est forcément mieux utilisé que s’il avait été collecté puis dépensé de manière discrétionnaire par les politiques (c’est le principe du There is no free lunch cher à Milton Friedman). La démocratie parlementaire est d’ailleurs vivement critiquée, elle est perçue comme un course pour le pouvoir, comme un système lourd et inefficace, propice aux discussions sans fin plus qu’aux prises de décision rapides et efficaces. Et si l’on y regarde de plus près cette révolution a pour but d’obtenir l’indépendance, mais d’instaurer également un système commercial reposant intégralement sur le libre-échange. Les analogies avec la révolution américaine paraissent assez évidentes tout au long du roman et on saisit rapidement qu’aux yeux de Robert Heinlein, la colonie lunaire représente une Amérique idéalisée, débarrassée de ses imperfections keynésiennes, pour ne pas dire socialistes. D’ailleurs, la déclaration d’indépendance de la Lune est anti-datée au 4 juillet, tout un symbole.

Si le fond est relativement riche (quoique discutable), la forme est hélas largement perfectible et plane sur ce roman comme une étrange sensation d’essai politique avorté. Sur le plan stylistique ou bien encore sur le plan de la technique narrative, l’ensemble est assez pauvre, voire franchement indigne. Tout est bien trop classique, didactique et l’ensemble manque singulièrement de naturel, notamment dans les dialogues, qui par ailleurs sont abondants et traînent souvent en longueur. Les personnages ont un profil et une psychologie à peu près aussi épais qu’une feuille de papier à rouler, c’est dire si leurs relations sont complexes. Il n’y a guère que le professeur de La Paz qui sorte un tant soit peu du lot. L’ensemble serait donc difficilement digeste si le récit n’était émaillé d’idées finalement assez brillantes. Des qualités qui ne font certes pas de Révolte sur la Lune un chef d’oeuvre de la littérature moderne, mais assurément un roman de science-fiction assez intriguant et non dénué d’intérêt sur le fond.

vendredi 23 septembre 2011

Dans la chambre verte : Surf City de Kem Nunn

Voici un livre qui a tout du roman de plage, le titre évidemment, la couverture, le décor sauf qu’il s’agit probablement d’une des plus sombres histoires qu’il m’ait été donné de lire ces dernières années. Du surf, Kem Nunn est assurément un bon connaisseur, il en maîtrise le vocabulaire, la technique, mais aussi et surtout l’esprit, ce qui est déjà moins évident. D’ailleurs le titre anglais Tapping the source est beaucoup plus en phase avec son univers que les deux titres choisis successivement par les éditeurs français (Surf city a d’abord été publié sous le titre Comme frère et soeur). Mais plus important encore, Kem Nunn est un bon écrivain et un excellent auteur de polars. Que son histoire se déroule sur la plage n’enlève rien à la force de son récit, le choc n’en est d’ailleurs que plus violent.

A 18 ans, Ike ne connaît pas grand chose de Los Angeles. Tout droit venu de son désert natal, où il trompait l’ennui en réparant des motos, il se retrouve seul au milieu de cette cité tentaculaire avec l’espoir un peu vain d’y retrouver sa soeur disparue. Pas vraiment du genre armoire à glace, un brin naïf et sans aucun contact, il possède uniquement trois noms de personnes qui auraient fréquenté sa soeur au cours des derniers mois ; trois surfeurs qui font la loi du côté d’Huntington beach (la fameuse Surf City) et qui trempent dans le trafic de drogue. Ike n’est pas de taille pour les affronter de face, même séparément, alors il tente l’approche par le surf. Il s’achète une planche et une combinaison (en oubliant le leash, ce qui est plutôt pénible) et se jette à l’eau au milieu des surfeurs locaux et des requins. Hélas, les requins ne sont pas les plus dangereux du côté d’Huntington, ce qui lui vaut quelque coup de poing bien senti d’un surfeur à qui Ike a coupé la priorité. Sonné, Ike récupère sa planche sur la plage et réalise que l’approche par la mer n’est pas aussi facile qu’il l’espérait, car s’il ne maîtrise pas la technique il maîtrise encore moins les règles et les codes en vigueur dans le milieu du surf. Mais si le bonhomme n’a pas la carrure d’un lutteur japonais, il a en revanche pas mal de chance. Il fait ainsi la rencontre de Preston Marsh, un motard au passé un peu trouble, ancien surfeur de renom et accessoirement ex-ami d’un certain Hound Adams, l’un des trois noms figurant sur sa liste. Preston devient rapidement le mentor d’Ike, en l’initiant au surf et en le protégeant de la faune qui règne du côté d’Hungtington. Il faut croire que le jeune homme a le bon feeling avec les vagues car il se fait rapidement remarquer par Hound Adams, qui tente de le prendre sous son aile. Une brèche dans laquelle Ike s’engouffre immédiatement, au risque d’y perdre une partie de son âme.

Les romans sur le surf sont suffisamment rares pour intriguer (Je ne saurais trop conseiller à ce sujet Surfer la nuit, l’excellent roman de l’australienne Fiona Capp), mais un roman sur le surf doublé d’un excellent polar se déroulant dans les milieux de la drogue et des snuff-movies on n’avait encore jamais vu ; le moins que l’on puisse dire c’est que le mélange des genres a quelque chose de décapant et d’incroyablement efficace. C’est d’ailleurs dans cette alliance improbable, ce hiatus entre deux univers que tout semble opposer, que repose le principal levier de Surf City. En soi, cela n’a rien de foncièrement original et le postulat de départ évoque immanquablement le Point Break de Kathryn Bigelow, mais là où le film manquait de profondeur (l’image du surfeur shooté à l’adrénaline a quelque chose éminemment réducteur) Surf City réalise le sans faute. Rarement un roman aura aussi bien réussi à transmettre l’émotion qui saisit le surfeur lorsqu’il est dans l’eau, ce sentiment de puissance et de plénitude, cette sensation de glisse et de communion avec l’océan. Cliché pourrait-on rétorquer ? Pas nécessairement, mais encore faut-il avoir les mots pour traduire cet état d’esprit et Kem Nunn a clairement évité le piège de la philosophie de pacotille grâce à une plume d’une sobriété exemplaire. Un plaisir simple et pur auquel aspire totalement Ike et dans lequel le lecteur plonge avec un bonheur infini. Jusqu’à ce que l’auteur enclenche la vitesse supérieure, le roman bascule alors dans l’horreur et Kem Nunn joue cette fois sur le registre plus classique du thriller. Sous les pavés, la plage ? Pas vraiment semble nous dire Kem Nunn, car sous le sable d’Huntington Beach on trouverait plutôt des cadavres.

Roman initiatique par excellence, Surf City nous plonge dans cette période incertaine de la fin de l’adolescence, quand on cesse brusquement d’être un enfant pour entrer définitivement dans l’âge adulte. Une transition violente qui résonne parfaitement avec l’intrigue du roman, lorsque Ike plonge au coeur de l’indicible. Alors le voile de perfection se déchire pour révéler les entrailles de la bête. Le dernier quart du roman joue constamment sur cette déconstruction des représentations, l’image d’Epinal d’une Californie enchanteresse inondée de soleil, aux rues bordées de palmier, aux longues plages de sable fin sur lesquelles les vagues parfaites du Pacifique viennent s’écraser, toute cette quincaillerie californienne vole constamment en éclat sous le regard d’un Ike désormais beaucoup moins candide. De critique, le roman aurait pu devenir foncièrement pessimiste, voire nihiliste, mais Kem Nunn sauve son personnage, lui offre une seconde chance grâce à une histoire d’amour qui aurait pu passer pour une bluette, mais qu’il traite tout en finesse et en retenue. Un nouveau tour de force dans un roman qui n’a pas fini d’être surprenant et qui ne se contente pas d’égratigner l’image d’une Californie stéréotypée et pourrie jusqu’à son coeur.