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lundi 31 octobre 2011

FoxyLadyProject

Ceci est la reprise d'un billet de réflexion de la documentaliste du blog d'à côté, juste pour faire envie à qui-vous-savez
Hier, au festival de la Guitare d'Issoudun, sur le stand du luthier Franck Cheval, j'ai vu un livre magnifique qui m'a mise au bord de la transe. Son sujet n'était pas l'objet de mon admiration, bien que ce livre exceptionnel rassemble une impressionnante collection de guitares. A gauche, la présentation, à droite la photographie d'une guitare. Grandeur nature. 
Oui, c'est là que se situe la caractéristique exceptionnelle de ce livre : il mesure 109 par 47 cm de large, est relié de soie rouge, composé d'un papier agréable au toucher et qui se feuillette aisément (ce n'est pas une mince affaire avec des pages d'un demi mètre carré), et la mise en page est superbe, avec des photographies d'une qualité supérieure. Seule raison pour laquelle il n'est pas encore dans ma bibliothèque : il coûte 375 euros (housse, pardon coffret compris : un carton fort, avec une poignée, estampillé "OUI, CECI EST UN LIVRE"). Pour l'admirer, c'est , et en musique (mais ça ne vaut pas le feuilletage en vrai).
Ce livre m'a rappelé les merveilles qu'on trouve dans les bibliothèques : les manuscrits enluminés, mais aussi les 10 volumes de la description d'Égypte, les reliures des volumes de la bibliothèque du château de Chantilly (avis aux Picards  et aux Francilliens : le château de Chantilly est une merveille et sa bibliothèque un paradis de bibliophiles), ou plus contemporains, les derniers Citadelle & Mazenod de la collection Variation. Plus abordables, j'aime beaucoup les pages vieux rose des éditions Gaïa, le grain particulier du papier de certaines publications d'Actes Sud. J'aime bien les couvertures qui changent de l'ordinaire, comme le petit tas de laine figurant un mouton sur Qui a tué Glenn ?, celles qui sont en relief, ajourées. J'aime aussi les atlas, les herbiers, les belles mises en pages.
Bref, l'avenir du livre, c'est de proposer du contenu mis en forme, au numérique comme en papier, et dans le cas du livre matériel de la mise en forme qui en fasse un bel objet, une chose à part entière, qu'on a envie de poser sur une étagère, de mettre sur un lutrin, de tenir dans la main, de caresser du bout des doigts, qu'on détaille page après page dans les moindres détails. La dématérialisation apportera avec elle de nouveaux outils, de nouvelles manières de lire (le dictionnaire intégré, les hyperliens, le multimédia, et tout ce qu'on n'a pas encore inventé), et ce sera très bien. Les tablettes et autres liseuses sont encore un peu chères, mais bientôt à portée de toutes les bourses et remplaceront le papier dans de nombreux usages. Mais pas le beau livre, celui qui donne à voir, à toucher  autant qu'à lire. Il faut que les éditeurs jouent de la matérialité comme ils doivent jouer du multimédia pour proposer autre chose que le contenu brut. Sinon, les auteurs se passeront d'eux, et ce seront les distributeurs qui prendront le relai. Les œuvres y perdront un regard critique, et cette mise en forme qui ajoute toujours au bonheur de lire.

jeudi 27 octobre 2011

Meurtres en Egypte : Les enfants d'Alexandrie, de Françoise Chandernagor

Pour nous changer des affres floridiens, quoi de plus dépaysant que de nous plonger dans l'Antiquité, et dans cette histoire maintes fois visitée : les amours d'Antoine et Cléopâtre. Françoise Chandernagor, qui a su en son temps faire revivre une Maintenon plus vraie que nature, nous entraine cette fois-ci sur les pas de la Reine à nulle autre pareille, par les yeux de sa fille Sélèné. Comme à son habitude, Dame Chandernagor nous offre un roman historique à la trame impeccable, mais avec une atmosphère étonnante. Elle prend le parti d'en appeler à un rêve, vieux procédé littéraire bien oublié, dans lequel son héroïne apparaît, la réclame (en grec ancien !). Elle entremêle parfois au récit des considérations techniques sur la difficulté d'écrire l'histoire, les libertés qu'elle se permet ou qui lui sont soufflées par l'ombre onirique de Sélèné, des fragments d'inventaires d'antiquaires contemporains. Le tout peut sembler parfois un peu déroutant, mais en fin de compte, quel régal pour l'historienne !
Nous voici donc à Alexandrie, quasiment confinés dans le palais où sont élevés les enfants de Cléopâtre. Il y a là Césarion, le fils de Jules César et héritier de la couronne d'Égypte, un tout jeune homme déjà au fait de la politique ; les jumeaux Cléopâtre Sélèné et Hélios Alexandre, et le petit dernier Ptolémée Philadelphe, fruits de des amours de la Reine et de l'Imperator Marc Antoine. Bientôt arrive Antyllus, le fils aîné de Marc Antoine et de sa première épouse Fulvie, et Iotapa, petite princesse mède destinée à épouser Césarion, qui a la consistance d'une ombre. Tout ce petit monde joue, fait des caprices et parfois s'interroge, dans les jambes des nourrices, des pédagogues et de quelques personnages hauts en couleurs. De temps en temps, des choses extraordinaires viennent briser la monotonie de la vie du palais, loin des parents, comme ce voyage en Syrie pour rejoindre Marc Antoine défait par les Parthes. Et puis, au loin, comme un grondement d'orage, la politique recouvre d'un voile inquiétant chacun des gestes des enfants. Enfin, en paroxysme, l'affrontement de Marc Antoine et Octave se termine aussi tragiquement qu'on le dit, et pour les enfants c'est le bouleversement ou la mort. Il n'y a plus qu'à attendre le second tome...
L’immixtion de l'auteure dans le récit m'a un peu gênée au départ. Mais, la dernière page refermée, on espère que Sélèné reviendra hanter Françoise Chandernagor, pour le meilleur. Les Mémoires d'Hadrien restent inégalées, mais Les enfants d'Alexandrie offrent une aussi belle plongée dans le temps que Murena.

mercredi 26 octobre 2011

Polar désespérant : Ile flottante infestée de requins, de Charles Willeford

Surtout connu pour une série de polars se déroulant à Miami et mettant en scène un flic au bout du rouleau mais plutôt fin limier (voir la chronique de Miami Blues, Charles Willeford a commis, avant de mourir sans avoir pu toucher le jackpot, quelques chefs d’oeuvres du roman noir parmi lesquels Combats de coqs, La messe noire du frère Springer et Ile flottante infestée de requins ; ce dernier étant considéré par l’auteur comme son meilleur livre.

La structure même du roman a de quoi dérouter les amateurs d’intrigues classiques bétonnées, les fanatiques de la procédure policière et autres Hercule Poirot en herbe. D’ailleurs, il n’y a pas d’intrigue dans Ile flottante infestée de requins et il n’y a pas non plus le moindre flic. J’en vois déjà qui crient à l’arnaque, mais pas d’inquiétude à avoir, le roman contient son lot de salauds, psychopathes et fêlés de service oeuvrant en toute impunité. D’une certaine manière, Ile flottante infestée de requins rappelle Un tueur sur la route ou bien encore American psycho par sa capacité à incarner la mal et à jouer sur le processus d’identification du lecteur. L’histoire est découpée en quatre récits entrecroisés, ceux de quatre jeunes hommes proches de la trentaines, jeunes, beaux, aisés, célibataires... quatre jeunes imbéciles en somme, qui tuent l’ennui à coups de bières et de commentaires machistes sur la gent féminine à la terrasse d’une piscine. L’alcool et la testostérone aidant nos quatre gaillards se lancent dans un défi insensé, l’un d’entre eux (censé être le bourreau des coeurs de ces dames) devra en moins de deux heures emballer une jeune femme dans le lieu réputé pour être le moins évident en la matière, à savoir un cinéma drive-in, et la ramener chez lui. Sauf que le pari tourne mal. En guise de trophée, c’est une junkie de 14 ans à moitié défoncée que le bellâtre embarque dans sa bagnole. Quelques kilomètres après la sortie du drive-in, l’adolescente vomit une partie de ses tripes sur le tableau de bord et meurt d’une probable overdose. Sauf que nos lascars décident de ne pas prévenir la police et de régler le problème à leur manière, c’est à dire sans beaucoup d’élégance. Les récits suivants permettent de suivre les parcours croisés de ces quatre amis sur une période plus longue, tous semblent s’être parfaitement intégrés à la société et leur aventure d’un soir a été enterrée sous une chape de plomb. Pour résumer assez brièvement, le second protagoniste devra faire face au mari jaloux d’une jeune femme qu’il espérait séduire, mais en guise de nuit d’amour il devra défendre chèrement sa vie dans un jeu de cache cache à travers la ville. Le troisième tentera par tous les moyens d’échapper à l’emprise d’une femme acariâtre, pingre et frigide par dessus le marché. Le quatrième est dans une situation assez similaire, sauf que la femme à laquelle il tentera d’échapper est beaucoup plus âgée que lui, immensément plus riche et incroyablement possessive.

Willeford fait partie de ces écrivains fascinés par Miami, à croire que la ville est un terrain de jeu de prédilection pour les psychopathes refoulés et autres détraqués en tous genres. Mais l’on comprend aisément que la réunion d’ingrédients aussi variés et toxiques que l’argent, la drogue, les filles faciles et un vivier inépuisable de victimes désignées puisse attirer une certaine clientèle criminelle. A vrai dire tout le monde, ou à peu près, semble travailler du chapeau du côté de la Floride et l’on peine parfois à distinguer les bandits des honnêtes gens. Effet de loupe ou prisme déformant d’une réalité fatalement complexe, Willeford dresse le portrait d’une cité infestée de requins prêts à fondre sur une victime au moindre signe de faiblesse. Une ville où quatre “sympathiques” jeunes gens peuvent en quelques minutes se transformer en psychopathes et où la moindre goutte de sang donne le signal de la curée. La Floride n’est donc pas le paradis escompté et ses longues plages de sable fin, ses palmiers, ses plantations d’agrumes et son climat chaud et ensoleillés fonctionnent comme un trompe l’oeil. Mais à la limite on le savait déjà, Willeford arrive en terrain connu et le lecteur n’est pas forcément surpris par cet aspect criminogène du substrat socio-économique floridien ; même s’il a l’art et la manière de le faire. En revanche, on est totalement fasciné par le glissement psychologique des personnages. Au départ simples branleurs célibataires sérieusement travaillés par leurs hormones, Willeford nous permet d’observer par quels processus psychologiques, quatre jeunes gens dans le vent peuvent se transformer en criminels totalement dénués de remords. Une absence totale de culpabilité, une capacité à la prise de décision rapide et au calcul, qui en font d’authentiques psychopathes ignorés. Portraits croisés de quatre jeunes gens “ordinairement dégueulasses”, selon les propres termes de Willeford, Ile flottante infestée de requins est une plongée dans la noirceur de l’âme humaine, un voyage dans la tête de vrais salopards dont on ne sort pas totalement indemne.