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samedi 21 juillet 2012

Chronique sociale texane : La dernière séance, de Larry McMurtry

Discrètement mais sûrement, les éditions Gallmeister, créées en 2006 par Oliver Gallmeister et Philippe Beyvin, se font une place dans le secteur de l’édition. Spécialisés dans la littérature américaine leur credo est simple : publier les livres qu’ils voulaient lire et qu’ils ne trouvaient pas en France. Et lorsqu’on jette un coup d’oeil sur leur catalogue, le moins que l’on puisse dire c’est qu’ils sont en train de réaliser tout simplement un sans-faute ; rares sont les éditeurs à pouvoir se targuer d’afficher un tel niveau de qualité, d’autant plus que l’objet livre et les traductions bénéficient également de beaucoup de soin. On sent la passion qui a oeuvré derrière les choix éditoriaux, nulle place au hasard, nulle tentative de réaliser le “coup” parfait en misant à tout prix sur des locomotives ou des best sellers, Gallmeister publie une littérature qui s’inscrit avant tout dans la durée, dans une perspective quasiment patrimoniale. De la collection Rivages/noir, un journaliste avait affirmé il y a quelques années qu’elle était la pléïade du polar, nul doute que la même comparaison élogieuse s’applique à Gallmeister en ce qui concerne la littérature américaine. L’éditeur propose actuellement quatre grandes collections. “Nature writing” est consacrée à la littérature de la nature et des grands espaces, “Americana” est centrée sur la littérature urbaine ou héritière de la contre-culture américaine, “Noire” est comme son nom l’indique consacrée au polar et la collection “Totem” correspond à du semi-poche. C’est d’ailleurs dans cette collection que l’on retrouve les trois grands romans de Larry McMurtry actuellement traduits en France (La dernière séance, Texas ville et Lonesome Dove). L’auteur américain avait déjà bénéficié d’une diffusion en France, la première traduction datant du début des années 1980, mais le romancier était progressivement retombé dans l’oubli malgré le prestige dont il a été auréolé au cours de sa carrière (le prix Pulitzer pour son roman Lonesome Dove et un oscar pour le scénario du film Le secret de Brokeback Mountain). On ne peut que souligner toute la pertinence de l’éditeur d’avoir donné une nouvelle visibilité à un écrivain de cette envergure.

La dernière séance se déroule comme la plupart des romans de McMurtry au Texas, plus précisément dans la petite ville de Thalia au début des années cinquante. Il s’agit d’une chronique sociale tout en finesse, qui se lit d’une traite et manie avec à peu près autant de bonheur l’humour et la satire, sans dénier pour autant une certaine gravité. Thalia est un modeste bourg de quelques milliers d’habitants, une ville qui vit de l’élevage bovin et du pétrole. On s’y ennuie ferme et les perspectives y sont pour le moins limitées. Le moindre potin y est traqué avec avidité et il n’y a guère que l’équipe de foot du lycée qui rythme un tant soit peu le calendrier local. Sonny et Duane terminent leur scolarité à Thalia et leur maigre prestige repose sur leurs talents discutables de footballeurs ; les deux garçons sont depuis peu autonomes et louent chacun une chambre dans la même pension de famille, qu’ils financent difficilement en travaillant le soir ou le samedi dans les champs de pétrole ou comme livreur de gaz. Lorsqu’ils n’ont pas entraînement ou ne travaillent pas, ils se retrouvent au café ou au billard, attendant avec impatience le jour de paye pour emmener leurs petites amies respectives au cinéma. L’occasion de se livrer à de longs baisers langoureux dans le noir ou à de brèves séances de pelotage sur la banquette d’une voiture. Duane est le plus veinard des deux puisqu’il a la chance de sortir avec la plus jolie fille du coin, la magnifique mais très superficielle Jacy, fille d’un riche magnat de pétrole, alors que Sonny se contente de la boulotte et tout aussi creuse Charlene.
McMurtry aurait pu s’en tenir là et nous livrer une énième variation sur une jeunesse américaine terrassée par l’ennui qui tente désespérément de s’affranchir du carcan insupportable maintenu par une société réactionnaire, pudibonde et franchement rétrograde. Une sorte d’American Graffiti version texane sans les courses de bagnoles. Mais on est finalement assez loin du film de George Lucas, La dernière séance est bien plus fin et surtout moins prude. Durant quelques chapitres on se prend même à en avoir un peu assez de toutes ces considérations sur le sexe débitées par des adolescents à peu près aussi stimulants intellectuellement qu’un groupe de supporters de foot à l’heure de l’apéro. Mais finalement toute l’intelligence de McMurtry et d’apporter également un point de vue adulte et de camper des personnages secondaires franchement passionnants, que ce soit Lois (la mère de l’insupportable Jacy), superbe femme minée par l’alcool et l’ennui qui dégage un profond désespoir tout autant qu’elle fait preuve d’une incroyable lucidité (la lucidité des alcooliques déçus par la vie) ou la très touchante Ruth, la femme effacée de l’entraîneur de l’équipe de foot, tellement dominée par la personnalité brutale de son mari. McMurtry a un talent fou pour esquisser le portrait d’un personnage et lui conférer en quelques mots une incroyable épaisseur. Ce qui est le plus étonnant c’est que même les personnages les plus antipathiques sont toujours extrêmement nuancés, on est très loin d’avoir affaire à un roman manichéen. D’un point de vue sociologique on se situe à une période charnière, en apparence la vie est toujours dictée et réglementée par des conventions et une morale empreintes de valeurs judéo-chrétiennes, mais le vernis craquelle de partout et ce que la morale réprouve chacun commence à le pratiquer de son côté. Même si le pacte social tient bon, jusqu’où résistera-t-il avant de voler en éclat. La réponse n’est pas dans La dernière séance, mais très probablement dans sa suite, Texas Ville, qui se déroule une trentaine d’années plus tard, toujours à Thalia et en présence des mêmes protagonistes. Superbement écrit et non moins bien traduit, La dernière séance est un roman d’une justesse incroyable, à la fois émouvant et drôle, qui propose une vision étonnante de l’Amérique profonde alors que le pays est sur le point de subir une importante mutation sociale et culturelle. Sous couvert de parler du passage de l’adolescence à l’âge adulte, Larry McMurtry se permet en outre de traiter avec brio de la crise de la quarantaine en nous livrant en quelque sorte un roman transgénérationnel. Incontournable !

jeudi 12 juillet 2012

Roman Hard Rock : Armageddon rag, de George R.R. Martin

Parce qu’ils ont longtemps été des symboles de la contre-culture, le rock et les littératures de l’imaginaire font depuis longtemps bon ménage. En témoignent des livres aussi réussis que Fugues de Lewis Shiner, Rock Machine de Norman Spinrad ou bien encore Le temps du twist de Joël Houssin. A noter que l’inverse est également vrai et nombre de groupes se sont inspirés de la fantasy, du fantastique ou de la science-fiction pour nourrir leur imaginaire créatif, que ce soit musicalement ou esthétiquement. On pense évidemment à la scène métal, notamment aux clins d’oeil appuyés de Rhapsody, de Manowar ou de Blind Guardian (la liste est évidemment non exhaustive) à l’univers de la fantasy ou bien encore au fameux Eddie, mascotte terrifiante du groupe Iron Maiden ; mais le phénomène est finalement loin d’être nouveau ou isolé et le sujet mériterait à lui seul un article complet, ce qui n’est évidemment pas l’objectif de ce modeste papier. Ecrit en 1983 et traduit une première fois en 1985 dans notre joyeuse comtée, la réédition (avec une nouvelle traduction) d’Armageddon Rag surfe sur le succès de George R.R. Martin en librairie et à la télévision grâce au Trône de fer ; série qui fait aujourd’hui de l’auteur américain l’un des portes étendard de la fantasy et fatalement l’un des héritiers du maître du genre : J.R.R. Tolkien (bien que les similitudes des oeuvres respectives de chacun soient finalement très très minces). Si l’association entre l’univers de Tolkien et le hard rock relève aujourd’hui du cliché et du marketing, elle n’était qu'embryonnaire au début des années quatre-vingt, à défaut d’être totalement underground, et Martin n’était qu’un jeune auteur en devenir, on lui pardonnera par conséquent cette facilité.

Donc Armageddon rag est un thriller se déroulant dans le milieu de la musique au début des années quatre-vingt. Sander Blair est un ancien journaliste musical, un vieux de la vieille, un radical qui ne jure que par le rock pur et dur, qui glorifie woodstock et crache sur la vague disco des années soixante dix ou le hard FM des années quatre vingt. Dix ans après avoir claqué la porte du magazine qu’il avait créé (le Hedgehog), pour cause de divergence de point de vue avec son associé, le brave Sandy se retrouve à la case départ, sa carrière d’écrivain n’a jamais vraiment décollé et chaque nouveau roman obtient moins de succès que le précédent. Sa vie sentimentale est en berne et le manuscrit de son prochain livre est bloqué à la page trente sept depuis des mois. Aussi lorsqu’on lui propose d’écrire un article sur le meurtre sanglant de l’ancien manager des Nazguls, un groupe mythique dont l’ascension fulgurante fut stoppée net par l’assassinat sur scène du chanteur dix ans plus tôt, Sandy ne se fait guère prier et part mener sa petite enquête, bien décidé à interviewer les trois derniers membres des Nazguls encore en vie. L’enquête est rapidement émaillée d’éléments surnaturels, voire paranormaux, sur fond de crime de sang et de flashbacks vers un passé révolu mais pourtant omniprésent, comme si les événements étaient fatalement amenés à se répéter.

Sur le plan strictement formel le roman est un peu décevant, si Martin prouve qu’il est déjà un écrivain confirmé, sa copie ressemble furieusement à une adaptation stricte et sans relief des techniques de narration issues des ateliers d’écriture chers aux auteurs américains. Certes, le rythme est relativement prenant et l’intrigue se tient, même si elle suscite parfois l’interrogation voire le scepticisme du lecteur, mais dans l’ensemble tout cela est sans surprise et sans génie. Une belle mécanique qui ronronne, mais dont on aimerait qu’elle s’emballe davantage. Musicalement ce n’est pas forcément plus convaincant ; les nostalgiques du bon vieux rock des années soixante seront à la fête, mais les autres seront intimement convaincus que le bonhomme a décidément des oeillères bien opaques sur les yeux, comme si la fureur et la folie créatrice du rock n’avaient jamais eu d’équivalent dans l’histoire de la musique. L’authenticité n’est pas l’apanage des groupes de cette époque, sans compter que Martin a une vision très parcellaire de l’histoire de la musique, il reste centré sur les USA et oublie l’apport majeur du british boom blues et du rock britannique de manière générale (les précurseurs du hard rock sont Anglais, quoi qu’on en dise), sans compter les piques envoyées aux amateurs de musique afro-américaine, un comble ! Que reste-t-il finalement à Armageddon Rag pour sortir son épingle du jeu ? Les personnages aimerait-on pouvoir dire, car s’ils sont stéréotypés et bourrés de clichés, la confrontation entre Sandy et son passé donne lieu à d’intéressantes mises en perspectives. Lui, l’irréductible rocker, le puriste toujours fidèle aux idéaux contre-révolutionnaires des sixties est amené à côtoyer à nouveau ses anciens camarades, et c’est toute l’évolution de la société américaine qui se révèle : la fin des idéaux révolutionnaires, le retour dans le rang de cette jeunesse indisciplinée et la victoire définitive du capitalisme et de la société de consommation. Martin sur ce point a vu juste et se montre particulièrement perspicace dans son analyse de l’état de la société à l’orée des années quatre-vingt, dommage qu’il tourne quelque peu en dérision les seuls personnages restés fidèles à leurs idéaux (Bambi, l’hippie has been, ou bien encore Ananda, la révolutionnaire enragée). A ce titre, le dernier chapitre, voire les deux derniers, apparaissent comme particulièrement mal venus et maladroits. Restent les bons moments du roman, ceux où Martin parle vraiment de musique et oublie pour un temps son intrigue bancale, des instants de pur lyrisme où l’on touche du doigt l’oeuvre d’un groupe qui n’a pas existé et qui pourtant n’a jamais eu autant de substance. De quoi avoir envie de poser  Music to Wake the Dead  sur la platine et de faire péter les watts à s’en déchirer les tympans et ça c’est vraiment très fort.