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dimanche 12 janvier 2014

Témoignage : Mélancolie ouvrière, de Michèle Perrot

A l'heure où les commémorations pour le centenaire de la Première guerre mondiale commencent et qu'on parle de la douceur de vivre des la "Belle Epoque", Michèle Perrot nous emmène, en partant d'un court témoignage dans une revue gauchiste de cette fameuse époque, dans l'envers (l'enfer ?) du décors. 

Lucie baud est une ouvrière des usines textiles de la Drôme, ni plus ni moins maltraitée que les autres, mais dont l'engagement syndical va faire une ouvrière à part. Entrée tôt à l'usine comme beaucoup de fillettes à la fin du 19e siècle, elle découvre petit à petit l'univers de la filature, qui trouve des échos très contemporains quand on regarde du côté de l'Asie. Après son mariage avec un garde-champêtre et la naissance de deux enfants, elle se retrouve assez jeune veuve et c'est là que commence son destin singulier de déléguée syndicale et de meneuse de grève.

Lucie Baud se bat contre les injustices : la baisse des rémunérations et la hausse des cadences consécutives à l'apparition de nouvelles machines américaines beaucoup plus rapides, les conditions de vie dans les dortoirs où sont confinées les jeunes filles et le sort des ouvrières italiennes.
En effet, quand les machines américaines arrivent, les patrons de la région en profitent d'une part pour mettre une seule ouvrière sur deux ou trois métiers, et pour baisser le prix à la pièce.
Quant aux internats, censés accueillir les jeunes filles afin qu'elles ne se perdent pas de réputation, ce sont des prisons sans guère de possibilité de sortie tenues par des religieuses qui trouveraient tout à fait leur place aux côté des Magdalena sisters irlandaises de sombre réputation. Mais au moins pouvaient-elles rejoindre leur famille régulièrement.
Quant aux ouvrières italiennes, on retrouve avec elles tous les problèmes de l'immigration. Attirées par de fausses promesses, notamment sur les salaires et le prix du voyage d'Italie en France et vice-versa, les pauvres filles se retrouvent littéralement enfermées dans l'usine dans des dortoirs plus infâmes que celles des Françaises, où les draps pourris de vermine ne sont changés que deux fois par an, interdites de la moindre sortie, mal nourries, et contraintes de rester sur place par un système de dettes savamment dosées. Ajoutons avec cela la haine des ouvrières françaises qui les rendent responsables de la baisse des salaires, et de "dévoyer les honnêtes Français"... Nous sommes en plein dans la période qui a vu la tragique chasse au Rital d'Aigues-Mortes.


Lucie Baud, c'est presque une inconnue, mais pas tout à fait. Presque une ouvrière comme les autres, mais pas tout à fait. Michèle Perrot, qui a retrouvé l'unique article qu'elle a écrit et menée l'enquête sur place, n'a pas retrouvé beaucoup de traces de sa vie, mais tout de même suffisamment pour dresser un portrait émouvant de cette femme exceptionnelle et fragile à la fois.Pas une passionaria, mais une ouvrière debout, aux prises avec un quotidien qui n'avait rien de celui des rentiers de cette époque, pas belle pour tout le monde...


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