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jeudi 20 mars 2014

RIP Lucius

Lucius en dédicace aux Imaginales 2013
Crédits photos : C.Schlonsok
C'est avec une très grande tristesse que j'ai appris aujourd'hui le décès de l'écrivain américain Lucius Shepard à l'âge de 66 ans. On savait l'auteur en mauvaise santé depuis quelques années, les hospitalisations à répétitions ne nous avaient pas rassurés et son récent AVC nous avait même fait craindre le pire. Hélas Lucius ne s'en est finalement jamais remis et s'est éteint un jour de printemps pour aller rejoindre ses pairs, bien trop loin de nous désormais. Une nouvelle étoile brille au firmament, observez le ciel vous la verrez peut-être scintiller de manière discrète mais intense du côté du baudrier d'Orion, à moins que cela ne soit du côté des Gémeaux ou de Pégase... qui sait. Lucius était pour l'establishment littéraire anglo-saxon un parfait inconnu, mais pour un petit noyau de fans  c'était un auteur culte, l'héritier des grands écrivains voyageurs anglo-saxons. Grand baroudeur, Lucius était un hobo, un vagabond avide de rencontres et de paysages, un observateur curieux dont l’œil acéré interrogeait sans cesse notre monde. Sa plume, si fluide et si riche, va nous manquer, tout autant que l'originalité de ses textes, même s'il laisse derrière lui une œuvre abondante, constituée pour l'essentiel de nouvelles et de novelas, un genre pas vraiment apprécié à sa juste valeur en France et pourtant si percutant. 

J'ai, en ce triste jour, une pensée pour sa famille, mais également pour son traducteur Jean-Daniel Brèque, ami fidèle de l'auteur et promoteur infatigable de son œuvre. Les fans français pourront toujours se consoler en gardant à l'esprit qu'il reste encore de nombreux textes inédits de Lucius Shepard, qui seront peu à peu traduits et édités (probablement aux éditions du Bélial, comme ce fut le cas pour ses derniers recueils). C'est une maigre consolation, mais c'en est une tout de même. Certains seront peut-être étonnés par ce billet car il n'est pas vraiment dans mon habitude de faire dans la nécro (même la mort de Iain M. Banks n'avait pas donné lieu à ce genre de chose) et j'ai jusqu'à présent été plutôt discret concernant cet auteur que pourtant j'adule. La raison en est finalement toute simple, j'ai assidument parlé de Lucius Shepard, mais ailleurs, un petit peu dans la revue Bifrost, pour laquelle j'avais écrit quelques chroniques, mais aussi et surtout sur le cafardcosmique, site sur lequel, certains d'entre-vous le savent, j'ai longuement sévi. Lucius était un auteur culte pour toute l'équipe de la grande époque et nous nous disputions souvent l'honneur de chroniquer ses livres, ce qui m'est arrivé bien plus que je ne le méritais. J'ai même eu l'insigne honneur de l'interviewer, dans des conditions hélas pas forcément idéales (par mail), ce qui fait que cet entretien m'avait laissé comme un amer goût d'inachevé puisque ma seule rencontre en chair et en os avec l'auteur avait eu lieu quelques années auparavant à l'occasion des Utopiales de Nantes. Un parfait acte manqué soit dit en passant, puisque j'avais été incapable de l'aborder franchement, alors qu'il était seul devant sa bière au bar des utos, délaissé par un public avide de se faire dédicacer quelque exemplaire d'un roman à la mode du moment, me contentant de bafouiller trois mots d'anglais en lui tendant mon exemplaire de Zone de feu émeraude, puis votre serviteur de repartir la queue entre les jambes, tout penaud d'avoir dérangé le maître en pleine recherche d'inspiration (mais plus probablement en train de savourer son verre). Et merde, aujourd'hui j'aurais des tonnes de choses à lui dire à Lucius, mais désormais ce n'est plus possible, l'homme s'en est allé mais l'écrivain reste à tout jamais inscrit dans l'histoire de la littérature américaine. RIP Lucius !

samedi 1 mars 2014

Polémique vidéoludique : Jacked : L'histoire officieuse de GTA, de David Kushner

Phénomène du jeu vidéo, la série GTA a longtemps défrayé la chronique, avant de rentrer finalement  dans le rang à l’occasion de la sortie de son cinquième opus. Mais si le travail de Rockstar a désormais trouvé une certaine légitimité critique, en plus du succès auprès du public gamer, cela ne s’est pas fait sans heurts. Depuis la sortie du premier GTA sur PC et Playstation, chaque épisode a vu enfler la polémique à mesure que le réalisme graphique et esthétique du jeu atteignait un nouveau degré de sophistication.  La polémique s’est même transformée en affaire juridique lorsque des modeurs mirent à jour en 2004 l’affaire hot coffee, une partie du jeu au contenu hautement explicite que les développeurs avaient caché dans le but d’éviter une interdiction aux moins de 21 ans sur le territoire américain. Mais loin de causer du tort à la série de Rockstar, ces multiples controverses médiatiques et juridiques assurèrent à GTA une publicité d’ampleur internationale, focalisant l’ire de ses opposants les plus conservateurs mais également l’exaspération des joueurs, fatigués d’être assimilés à des psychopathes en puissance. Qu’on le veuille ou non, GTA a marqué une étape importante dans l’histoire du jeu vidéo, lui permettant, parfois à son corps défendant, d’accéder à une certaine maturité artistique. Aussi puéril qu’il puisse paraître à l’époque, et à fortiori aujourd’hui, le mod hot coffee posait de véritables questions à la communauté du jeu vidéo (à l’industrie comme aux joueurs), de même que la violence intrinsèque du jeu interrogeait la violence de notre société, l’apparition d’un contenu sexuel explicite (plutôt ridicule au demeurant) heurtait le puritanisme américain et pointait les failles d’une société qui refusait de voir la réalité de face. D’une part les jeux vidéo avaient grandi, comme leur public, qui attendait désormais autre chose que des mondes enchantés à la Nintendo, d’autre part l’Amérique conservatrice réalisait que le monde de GTA ne faisait que révéler les failles et les lignes de fractures d’une société en mal de repères, qui ne faisait que s’accrocher aux lambeaux d’une sacro-sainte morale désormais tombée en désuétude.  Les joueurs eurent en grande partie le sentiment que le jeu vidéo faisait office de bouc émissaire, au même titre que le rock n’roll dans les années cinquante ou les jeux de rôle vingt ans plus tard. Le jeu vidéo était stigmatisé et accusé de tous les maux (“simulateur de meurtre”), par une faction de la société qui refusait de réguler la vente d’armes à feu et laissait ses enfants s’abreuver de violence télévisuelle dès le plus jeune âge. Quant à l’industrie vidéoludique, elle se retranchait derrière l’Entertainment Software Rating Board (un classement des jeux en fonction de leur contenu) et renvoyait les parents à leurs propres responsabilités, signalant qu’en 2004, 60% des enfants qui avaient joué à GTA San Andreas, s’étaient vus offrir le jeu par leurs parents ; un comble sachant qu’aux Etats-Unis le jeu avait été classé M (mature), ce qui interdisait la vente de GTA aux moins de 17 ans.


Et Rockstar dans tout cela ? L’enfant terrible du jeu vidéo pratiquait la politique de l’autruche, muré dans un silence qui en disait long quant à la capacité du développeur à assumer la polémique qu’il avait initiée avec la subtilité d’un pachyderme à pleine charge. Cette attitude était tout autant l’expression de l’immaturité de ses dirigeants que l’affirmation d’une volonté d’imposer sa propre vision des jeux vidéo. Celle d’un loisir pratiqué désormais massivement, de l’enfance jusqu’à l’âge adulte, et dont les contenus devaient nécessairement évoluer et se rapprocher des thématiques brassées par le cinéma ou la littérature. Cette maturité artistique, Rockstar réussit pourtant à l’exprimer dans le quatrième volet de la série. GTA IV (2008) mit tout le monde d’accord, les critiques comme les joueurs étaient stupéfaits par l’ampleur démesurée du jeu, le développeur avait frappé un grand coup avec une direction artistique à couper le souffle et une architecture de Liberty City tellement proche de New York qu’elle vibrait de réalisme et d’énergie. Le ton s’était également fait plus réaliste et plus sombre, délaissant le fun et l’aspect potache des épisodes précédents, quitte à se prendre parfois un peu trop au sérieux.


C’est cette histoire houleuse, longue de plus de quinze ans que retrace David Kushner, centrant son propos sur l’impact sociétal de GTA  plus que sur la genèse technique et artistique du jeu, même si quelques aspects sont évoqués. Il ne s’agit nullement d’un making off, mais plutôt d’une analyse à posteriori des événements, on oubliera donc les illustrations couleur double page, Jacked ne contient que du texte, rien que du texte, ce qui n’enlève rien à ses qualités.