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mardi 1 juillet 2014

SF italienne : L'homme vertical de Davide Longo

A 42 ans, et une carrière littéraire déjà bien remplie, Davide Longo est devenu un auteur incontournable dans le paysage de la littérature italienne ; il faut dire que la parution de L’homme vertical lui a valu en Italie une pluie d’éloges parfois dithyrambiques (notamment de la part d’Alessandro Barrico). En France, l’auteur est plus confidentiel, mais à la lecture de ce roman, on comprend aisément les raisons de cet engouement de l’autre côté des Alpes. On aurait bien vu L’homme vertical figurer au catalogue  Lunes d’encre, tant son exigence littéraire et son ambition paraissent concorder avec la ligne éditoriale de la collection dirigée par Gilles Dumay, mais c’est en littérature générale, chez Stock, que cette traduction est proposée. Dont acte ! On pourrait trouver là une explication à la relative indifférence dont jouit le roman dans le fandom, mais d’autres livres du même calibre ont été publiés dans des collections blanches tout en suscitant l’enthousiasme des amateurs de science-fiction, comme par exemple La route de Cormac McCarthy. On comprend bien que Davide Longo ne dispose pas de l’aura et de la célébrité de l’écrivain américain, mais il est bien dommage qu’il n’aie pas bénéficié des mêmes attentions. La référence au roman de Cormac McCarthy n’est en rien due au hasard puisque L’homme vertical s’inscrit également dans la longue tradition du roman post-apocalyptique, qui depuis les années soixante ne cesse de promettre, non sans raison, un avenir sombre à l’humanité. Pourtant le roman de Davide Longo ne ressemble à rien de connu et se démarque par sa singularité. Evidemment, l’ambiance, par sa violence débridée, rappelle Mad Max et la place que tient la jeunesse n’est pas sans évoquer un certain Quinzinzinzilli, mais les similitudes s’arrêtent là car l’auteur italien, par son talent et son érudition, réussit le tour de force de proposer un regard neuf sur le genre.


Le roman se déroule en Italie, dans un futur proche. Sans que l’auteur ne s'appesantisse démesurément sur le sujet, on devine que le pays a connu une crise d’une gravité jamais atteinte. Les structures étatiques, le tissu socio-économique, tout a volé en éclat pour laisser place à une période d’anarchie de plus en plus sombre, que les autorités sont totalement incapables de juguler. Les frontières avec la France et la Suisse sont verrouillées alors qu’à l’Est elles semblent ne plus exister, le pays est envahi “d’extérieurs”, de bandes plus ou moins organisées qui commencent à piller les commerces et les maisons abandonnées. Les banques gèlent les avoirs puis disparaissent comme le reste de l’économie, la radio et la télévision ne diffusent plus rien d’autre que des programmes enregistrés, plus aucune source d’information ne fonctionne et même l’armée est en déshérence, faute d’instructions venues de l’état-major et d’approvisionnement. Les villes et les villages se dépeuplent progressivement, les routes sont envahies d’hommes, de femmes et d’enfants, mal équipés et mal préparés à leur exil, mais persuadés qu’ils trouveront un moyen de rejoindre la France ou la Suisse. Au fil du temps l’essence et la nourriture se font rares, les bandes plus violentes, les routes principales deviennent dangereuse et l’on peut  se faire détrousser  pour une paire de chaussure ou quelques victuailles. Au milieu de cet enfer, Leonardo, un ancien professeur d’université retiré à la campagne à la suite d’une affaire de moeurs, tente d’échapper à cette barbarie qui s’étend comme un cancer à travers tout le pays. Calme, posé, passionné de littérature et grand lecteur, Leonardo continue de cultiver les vignes qui entourent sa petite maison de campagne, perdue dans les collines du Nord-Ouest de l’Italie. De temps à autre il fait un saut jusqu’au village pour se ravitailler tant bien que mal à la petite épicerie locale et tailler le bout de gras avec les rares habitants restés au village. Jusqu’au jour où son ex-femme vient frapper à sa porte, accompagnée de leur fille et du fils issu d’un second mariage. A charge pour Leonardo de prendre soin des enfants jusqu’à son retour une semaine plus tard. On l’imagine aisément, la femme ne reviendra jamais, probablement interceptée sur la route par une bande de pillards, puis violée, dépouillée et sans doute tuée ; au mieux a-t-elle été faite prisonnière, pour faire office d’esclave sexuel ou de monnaie d’échange auprès de bandes rivales. On ne le sait pas exactement, mais on le devine aisément. Leonardo n’essaiera pas de la retrouver, mais en revanche il a promis d’accompagner les enfants jusqu’à la frontière Suisse, où, grâce à leurs sauf-conduits, ils ont une chance de traverser. Toute la seconde partie du roman est centrée sur le voyage qu’effectueront Leonardo et les enfants, un périple semé d’épreuves douloureuses au milieu d’un pays ravagé par la violence et l’anarchie.
   
    Mal préparé pour survivre dans un environnement aussi hostile, rappelons que Leonardo est un écrivain et un intellectuel au physique peu endurci et à la personnalité douce et tranquille, on peine à imaginer qu’il survivra plus de quelques jours à l’enfer de son périple. Mais comme un phare au milieu de la tempête il subit avec un courage admirable les pires humiliations et les violences les plus atroces ; il se fait dépouiller à de nombreuses reprises, bastonner, torturer, on lui retire toute dignité, mais il résiste moralement et ne perd jamais de vue que sa seule raison d’endurer tout cela est de préserver la vie de sa fille. Cette attitude, il lui faut du courage et de la volonté pour ne pas s’en éloigner, afin de préserver cette once d’humanité et de civilisation au milieu de la barbarie, mais Leonardo en sortira littéralement transformé. En somme, L’homme vertical fait figure de roman post-apocalyptique initiatique. Comme en contrepoint, l’image de la jeunesse (et donc de la société en devenir) évoquée par Davide Longo  est fortement anxiogène, à la limite de la caricature, mais la science-fiction a toujours eu l’habitude d’accentuer le trait pour le rendre plus évident, sans pour autant l’invalider par son aspect outrancier ; heureusement certains personnages (Lucia et Salomon par exemple), viennent atténuer cette vision catastrophiste de la jeunesse, mais on a bien compris que dans cette univers ultra-violent, il n’y a plus de place pour l’enfance, seule compte la survie. Indiscutablement, le roman entre en résonance avec notre époque  socialement destructurée et en perte de repères. Du roman de Longo transpire cette peur du lendemain et de l’avenir, comme s’il exprimait tout haut l’angoisse du déclassement qui traverse la société occidentale, particulièrement en Europe. Cette ambiance de fin de civilisation est néanmoins atténuée par la dernière partie du roman, beaucoup moins sombre et presque porteuse d’espoir, on y sent comme l’héritage d’un certain Candide de Voltaire, à ceci près que les problématiques et les questionnements sur la nature de l’homme et du mal, ne sont ici qu’esquissées. Nul doute que certains lecteurs resteront sur le faim, avides d’explorer ces thématiques philosophiques en profondeur, mais pour Longo une chose est certaines, à la fin c’est l’intelligence et la culture qui l’emportent sur l’instinct animal et la barbarie, même si la figure tutélaire de l’intellectuel a été furieusement malmenée durant 400 pages.

    Sobre, poétique, voire parfois contemplatif, L’homme vertical est également un roman dur et violent qui emprunte aux schémas classiques de la science-fiction post-apocalyptique, tout en lui apportant une certaine fraîcheur.  La force du roman réside également dans ses qualités d’écriture, la plume de Longo, à la fois simple et élégante, apporte une certaine douceur, qui tranche avec la violence du propos et confère au roman sa touche la plus originale.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Bonne pioche ! Dans ma PAL donc.
SV

Emmanuel a dit…

Tu m'en diras des nouvelles !