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mardi 30 septembre 2014

Ocean Spray : La patrouille de l'aube, de Don Winslow

Successivement comédien, metteur en scène, directeur d’une salle de cinéma, détective privé (spécialisé dans les affaires d’adultère), prof, journaliste et même guide de safari au Kenya, Don Winslow n’a rien du petit écrivain casanier ou du rat de bibliothèque. L’avantage avec les baroudeurs c’est que leur littérature est en général à l’image de leur vie, brute de décoffrage, enfiévrée et pleine d’aspérités. Cette urgence dans l’écriture, cette violence qui suinte de certains de ses romans n’est pas vraiment au coeur de La patrouille de l’aube, un roman qui se déroule dans le milieu du surf à San Diego, comme par hasard désormais port d’attache de Don Winslow. L’auteur américain se serait-il rangé après avoir découvert la coolitude des surfeurs californiens ? On serait tenté de le croire tant La patrouille de l’aube apparaît comme un roman, certes plaisant et bien mené, mais finalement mineur dans la carrière de l’auteur.

Don Winslow nous fait à nouveau le coup de la bande de potes, la fameuse patrouille de l’aube, constituée de surfeurs du cru (quatre garçons et une fille), des locaux comme on dit, amoureux des vagues et de l’océan, qui se retrouvent tous les jours pour une session de glisse à l’heure où certains tombent tout juste du lit.  C’est évidemment l’occasion d’oublier les tracas du quotidien et de se ressourcer au contact de l’élément marin, car l’océan ne ment pas comme disent les surfeurs et il châtie évidemment ceux qui ne respecteraient sa puissance, qu’elle soit mystique ou physique. Au milieu  de ces joyeux drilles, Boone fait un peu figure de parrain, ancien flic désormais détective privé, il ne vit que pour et par le surf, crèche plus ou moins dans son vieux van déglingué (en fait non, mais ça on ne le saura que plus tard) et ne bosse que pour subvenir à ses besoins les plus élémentaires. Un pur et dur on vous dit, mais sous la carapace se cache en réalité un homme qui souffre et dont les plaies, certes engourdies, ne sont toujours pas refermées. Evidemment, pour une bande de surfeurs, l’arrivée d’une très grosse houle venue du fin fond du Pacifique devrait être le seul sujet de conversation au line up. Las c’est un autre type de vague qui risque de disloquer la patrouille, celle constituée par une sordide affaire de prostitution infantile levée par le camarade Boone alors qu’il enquêtait sur une simple affaire d’incendie d'entrepôt. De quoi mettre à mal l’entente cordiale qui régnait jusqu’à présent et réveiller de douloureux souvenirs.

Intrigue rondement mené, personnages attachants, La patrouille de l’aube est un roman plutôt plaisant mais qui manque clairement d’ambition, on aurait bien voulu que cette affaire de prostitution infantile soit un levier un peu plus substantiel sur le plan narratif, même si l’on comprend les réticences de l’auteur à sombrer dans le sordide. En l’état il reste essentiellement un ressort  dramatique un peu chargé en pathos ; Winslow joue sur la corde sensible sans aller au fond des choses. Dans un genre similaire, Kem Nun avait réussi avec Surf City à traduire de manière remarquable cette impression de paradis pourri qui n’est pas totalement étrangère au roman de Winslow mais demeure trop sommairement traitée.  Reste l’ambiance, plutôt réussie, ainsi qu’une écriture fluide et nonchalante, qui entraîne parfois le lecteur sur un faux rythme pas déplaisant. Finalement le point le plus intéressant du roman réside dans ses très nombreuses digressions, sur des sujets aussi variés que l’histoire de San Diego, la culture polynésienne ou les relations familiales dans les Samoa ; étonnant et souvent bien vu.  La patrouille de l’aube fait donc office de lecture détente, sans prise de tête, mais sans relief particulier, en tous cas bien loin de la profondeur thématique et de l’ambition de La griffe du chien, chef d’oeuvre du sieur Winslow.

jeudi 25 septembre 2014

Littérature des grands espaces : Le chant des plaines, de Kent Haruf

Premier roman de l’écrivain américain Kent Haruf, dont on a déjà pu apprécier la plume sur ce blog avec Colorado Blues, Le chant des plaines est enfin réédité dans la collection Pavillon, après avoir figuré au catalogue des éditions 10/18, qui semblent, mais peut-être n’est-ce qu’une vague impression, se délester de certains de leurs titres. Voilà une initiative salutaire tant Kent Haruf, auteur rare et discret, mérite d’être apprécié à la mesure de son talent. D’autres ont probablement été saisis d’un sentiment similaire, puisqu’en 2006, Kent Haruf eut l’insigne honneur de recevoir le prix John Dos Passos, qui récompense aux Etats-Unis un auteur dont le talent n’a pas reçu toute l’attention qu’il méritait. On pourrait se gausser de la valeur d’un prix faiblement doté (2000$) et décerné par une obscure université de Virginie, si le palmarès ne contenait pas des noms aussi prestigieux que ceux d’Annie Proulx, Tom Wolfe, Russel Banks, James Welsh, Sherman Alexie ou bien encore Percival Everett. On souhaite bien évidemment à Kent Haruf de connaître une destinée littéraire aussi réussie, mais le moins que l’on puisse dire c’est que pour le moment, l’auteur américain commet un sans-faute.

    Comme tout bon écrivain, forcément hanté par des démons qui reviennent sans cesse à la charge, Kent Haruf semble condamné à explorer sans cesse le quotidien de la petite bourgade de Holt, une cité quelque peu austère, perdue dans les vastes plaines du Colorado, à peine troublée par le rythme paisible des activités agricoles, principales ressources de la région. Kent Haruf nous plonge dans un récit choral, parcours croisé entre plusieurs personnages, Guthrie, professeur d’histoire au lycée de la ville, sa femme, totalement dépressive et au bord de la rupture, ainsi que leurs deux enfants, Ike et Bobby. Leur destinée croisera celle d’une jeune lycéenne à moitié indienne, tombée enceinte à la suite d’une relation avec un garçon plus âgé et chassée du domicile familial par sa mère. Elle finira par trouver refuge, aussi improbable que cela puisse paraître, auprès de deux vieux célibataires endurcis, deux frères exclusivement attachés à leur ferme et à leurs vaches. Concédons qu’à partir d’éléments narratifs aussi faibles, l’intérêt du roman puisse ne pas sauter pas aux yeux immédiatement et pourtant…

Par son rythme paisible et nonchalant, Le chant des plaines prend le temps  de diffuser sa petite musique entêtante, de dresser un portrait tout en nuances de la vie dans une petite ville du Midwest à travers une galerie de personnages attachants et profonds. On grimace, on sourit, un s’indigne,  sans jamais que l’émotion ne dégouline de pathos, Kent Haruf nous livre un roman tout en retenue mais profondément humaniste. Il n’y juge personne, mais se contente de décrire avec justesse la vie simple et ordinaire des habitants de Holt, une vie parfois difficile et semée d’embûches, alternant fulgurances et douce torpeur. Cette chronique sociale douce-amère n’est pas sans rappeler un certain Larry McMurty, le côté loufoque et décalé de Texasville en moins, l’espérance en plus. Car Le chant des plaines est un roman résolument optimiste où pour une fois le happy end se profile de manière logique et libératoire. Rien à voir avec la fin abrupte et violente de Colorado blues, ici les choses s’apaisent calmement et se résolvent avec délicatesse.

vendredi 5 septembre 2014

Féerie chinoise : La magnificence des oiseaux, de Barry Hughart

Longtemps disponible uniquement en grand format chez Denoël/Lune d’encre, La magnificence des oiseaux est désormais (oui bon, depuis l’année dernière) disponible en poche chez Folio SF. Et ce qui ne gâche rien à l’affaire, ses deux suites, La légende de pierre et Huit honorables magiciens, sont également proposées au catalogue.  Seule ombre au tableau, les magnifiques illustrations Lune d’encre n’ont pas été conservées, remplacées par des couvertures à l’esthétique plus cartoon et probablement plus en phase avec un lectorat adolescent ou jeune adulte. Qu’importe le flacon, l’intérêt est de toute façon ailleurs. Ecrivain et scénariste Barry Hughart est un auteur relativement confidentiel, aux Etats-Unis comme en France, la faute sans doute à une carrière littéraire en panne sèche depuis la publication du troisième volet des aventures de maître Li et de son comparse Boeuf numéro dix. La série devait initialement compter sept romans, mais des différends éditoriaux stoppèrent cet élan initié au milieu des années 80. Plusieurs années après ces conflits éditoriaux, Barry Hughart déclara dans une interview qu’il ne donnerait probablement jamais suite aux aventures de ses deux héros, faute de perspectives éditoriales (faibles ventes, difficulté à catégoriser l’oeuvre pour les éditeurs) mais également d’inspiration. Fatigué du manque de soutien de ses éditeurs successifs, mais également probablement déçu par des ventes assez modestes, Barry Hughart ne se remit jamais à la tâche ; avec le recul lui apparut même le sentiment qu’aller au-delà de ces trois livres ne ferait que contribuer à répéter inlassablement le même schéma littéraire. Une décision que l’on peut regretter, mais qui est tout à l’honneur de l’écrivain américain.


    La magnificence des oiseaux met donc en scène deux personnages hauts en couleurs, maître Li Kao, un vieil érudit largement porté sur la boisson (mais toujours maître de ses facultés) et son acolyte Boeuf numéro dix, un jeune homme dont le physique massif et la force brute sont les principales qualités.  Originaire de la petite bourgade de Kou-Fou, spécialisée dans l’élevage des vers à soie, Boeuf numéro dix fait appel aux services de maître Li a la suite de l’empoisonnement de tous les enfants de son village. Sans que personne n’en comprenne les raisons exactes, les enfants ont subitement et presque simultanément sombré dans un comas profond dont aucune médecine ne semble pouvoir les sortir. Il faudra toute la science de maître Li pour comprendre la nature de cet empoisonnement et découvrir le remède capable de les guérir, la mythique Grande Racine de Ginseng. L’occasion pour nos deux compères de mener tambour battant une aventure rocambolesque et riche en péripéties à travers la Chine.


Le roman, mené à un rythme d’enfer du début à la fin, vaut moins pour la qualité de son intrigue initiale, qui paraît au départ assez légère, que pour ses qualités narratives et littéraires. L’ensemble révèle cependant toute sa richesse au fil d’un récit qui se complexifie par ses liens avec la mythologie chinoise. Le travail de création et de composition (ou plutôt de recomposition), sur une Chine imaginaire et partiellement réinventée, est probablement l’apport le plus considérable de Barry Hughart. Evidemment la tradition et la culture chinoises ont très profondément irrigué le travail de l’auteur, qui manipule avec une certaine dextérité un matériel littéraire et culturel d’une rare richesse mais grandement ignoré en Occident. Contes traditionnels et poèmes épiques sont repris de manière brute ou légèrement remaniés, pour être intégrés avec beaucoup d’à-propos à la trame narrative imaginée par Barry Hughart. La lecture de son roman est l’occasion de réaliser à quel point la culture chinoise est méconnue en France ; autant la fantasy historique emprunte volontiers ces dernières années à la mythologie scandinave, celtique ou greco-romaine, voire même japonaise, autant certaines contrées asiatiques restent un vaste champ inexploré. C’est sans doute la raison pour laquelle l’univers créé par Barry Hughart paraît si exotique et rafraîchissant, d’autant plus qu’il est ici mis en valeur par des qualités d’écriture tout à fait remarquables. L’auteur emploie un style extrêmement travaillé pour coller au plus près des tonalités employées dans la littérature chinoise traditionnelle, l'ensemble étant rehaussé par une pointe d’humour qui évoque il faut bien le reconnaître un certain Terry Pratchett, bien que les deux auteurs n’emploient pas l’humour à des fins similaires (contrairement à Pratchett, l’humour n’est jamais chez Hughart une fin en soi)  ; mais le duo maître Li / Boeuf numéro dix n’est pas non plus sans rappeler un autre duo célèbre de la fantasy, à savoir Fafhard et le Souricier Gris de Fritz Leiber. En revanche, la référence de la quatrième de couverture aux célèbres enquêtes du juge Ti est à mon sens un poil abusive, tant Barry Hughart est à mille lieues du souci de réalisme historique qui caractérise les romans de Robert Van Gulik. On navigue ici dans une féerie loufoque et jubilatoire qui charme irrémédiablement le lecteur. Un véritable enchantement, à la fois drôle et léger, mais pas exempt d’une certaine profondeur.