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mardi 12 mai 2015

Polar classique : Les égoûts de Los Angeles, de Michael Connelly

Dans la catégorie polars à gros tirages, Michael Connelly est un poids lourd. Adapté à deux reprises au cinéma (Créance de sang, en 2002 et La défense Lincoln en 2012), l’auteur américain aura néanmoins attendu 2014 avant de voir son personnage le plus célèbre, l’inspecteur Harry Bosch, tenir le rôle principal d’une série télévisée. Étonnant au vu du succès de l’auteur depuis une bonne vingtaine d’années. D’abord journaliste pour divers quotidiens de Floride, Connelly fut finaliste du prix Pulitzer en 1986, grâce à un article qui lui permit de pousser la porte du Los Angeles Times, afin d’y occuper la fonction de chroniqueur judiciaire. Autant dire que le bonhomme a vu passer bon nombre d’affaires durant sa carrière et que les procédures policières et judiciaires ne sont plus un secret pour lui.

Au cours de sa prolifique carrière, Michael Connelly a créé plusieurs personnages de fiction récurrents, plus ou moins liés par des éléments communs. L’inspecteur Harry Bosch est évidemment le premier d’entre-eux, mais l’on peut désormais compter également Mickey Haller (La défense Lincoln), avocat de son état et accessoirement demi-frère de Bosch, ainsi que le journaliste Jack McEvoy. Ces personnages se livrent à des caméos répétés, dont on cherche parfois vainement l’utilité, mais qui contribuent à l’unité de l’univers judiciaire de Michael Connelly. Honnêtement l’intérêt réside ailleurs, dans la capacité de l’auteur à proposer un roman à l’intrigue solidement bâtie et à la narration aisée, l’ensemble étant soutenu à bouts de bras par le personnage central d’une grand partie des romans de Michael Connelly : l’excellent inspecteur Harry Bosch. Détective solitaire et peu amène, il est qualifié de franc-tireur par sa hiérarchie, se moque des procédures inutilement bureaucratiques et ne s’embarrasse guère d’une quelconque once de diplomatie lorsqu’il faut mettre les points sur les i. Son caractère entier n’est pas sans lui créer de nombreux ennuis avec ses supérieurs, qui reconnaissent volontiers son savoir-faire et ses talents de fin limier, mais ne supportent guère sa propension à s’affranchir des procédures standards (et donc à les envoyer bouler). Bosch ne supporte ni la hiérarchie ni les bureaucrates, ces gratte-papier focalisés sur les statistiques, obnubilés par la communication et les tractations politiques des hautes sphères de la police. Personnage attachant et savamment construit (son passé d’enfant de l’assistance publique, son expérience du Vietnam), Harry Bosh accumule les casseroles, mais sa posture de flic allergique à l’autorité le rendent foncièrement sympathique. Nul doute qu’avec un personnage de flic rangé et procédurier, les romans de Michael Connelly n’auraient certainement pas la même saveur.

Dans ce premier roman, le lecteur est invité à suivre les pas de l’inspecteur Harry Bosh, ancien flic d’élite du LAPD désormais affecté à la brigade d’Holywood à titre de rétrogradation. A la suite d’une enquête longue et délicate, Bosch a en effet tiré sur un suspect alors qu’il se croyait menacé et donc en état de légitime défense, hélas ce dernier n’était pas armé. Depuis cette affaire, Bosch est dans le collimateur de la hiérarchie et de l’inspection générale des services, mais cela ne l’a pourtant pas incité à faire profil bas. L’affaire qui se présente, alors qu’il était de garde un dimanche, a tout de l’enquête de routine. Le corps d’un ancien toxicomane est retrouvé dans un tunnel désaffecté près du réservoir de west Hollywood, une zone particulièrement appréciée des zonards en tous genres. Les différents éléments qui se présentent ne laissent guère planer le doute, l’enquête sera rapidement bouclée, le médecin légiste conclura à une overdose et tout le monde pourra gentiment rentrer chez lui pour profiter de son dimanche et regarder le match de football. Sauf que les indices trouvés sur les lieux laissent Bosch dubitatif, certains éléments ne concordent pas et surtout, la victime est un ancien vétéran du Vietnam, un rat de tunnel dont la spécificité était de mener la chasse au viet dans les souterrains qui parcouraient la jungle…. comme un certain Harry Bosch. Une coïncidence qui chiffonne le policier et qui risque de le plonger à nouveau dans le pétrin.

L’intrigue du roman en soi n’a rien d’exceptionnel, mais le savoir faire de l’auteur en matière de construction narrative permet au lecteur d’être pris dans le rythme de l’histoire et de tourner les pages avec plaisir non feint. Certes, l’ensemble reste de facture classique, les rebondissements paraissent parfois forcés et un brin artificiels, mais ne boudons pas notre plaisir, il s’agit là d’un divertissement tout à fait honnête, qui n’a certes ni la profondeur d’un Jack O’Connell ni la rage d’un James Ellroy, mais qu’importe, ce n’est de toute façon pas ce qu’on lui demande.

mardi 5 mai 2015

Pause napolitaine : Montedidio, de Erri de Luca

Ecrivain populaire, poète, dramaturge et alpiniste chevronné, Erri de Luca est originaire de Naples, mais quitta à l’âge de 18 ans la grande cité de Campanie pour Rome afin de s’engager dans la lutte révolutionnaire. Refusant d’entrer dans la clandestinité en raison de ses prises de position politiques, Erri de Luca devint ouvrier chez Fiat poursuivant son combat politique dans l’action syndicale. Ce n’est qu’en 1995, qu’il abandonna sa carrière d’ouvrier pour se consacrer entièrement à la littérature. Il vit actuellement dans les Alpes italiennes et a récemment défrayé la chronique par son activisme à l’encontre du projet de construction de ligne à grande vitesse entre Lyon et Turin. Cet engagement, profondément enraciné dans ses origines populaires et ouvrières, transparaît dans son oeuvre, qui puise directement sa source dans son passé napolitain modeste et profondément authentique. Erri De Luca apparaît donc comme une figure aujourd’hui singulière de la littérature italienne, celle de l’écrivain-ouvrier, dont la sensibilité n’est pas très éloignée de celle d’un François Cavanna (d’origine italienne et issu lui aussi d’un milieu modeste). Primé à de multiples reprises, Erri de Luca a reçu en 2002 le prix Femina pour Montedidio.


Comme nombre de ses romans, Montedidio se déroule à Naples et se révèle en grande partie autobiographique. Le récit prend place quasiment intégralement dans le quartier populaire de Monte di dio (littéralement le mont de Dieu) qui surplombe la vieille ville et dont on peut aujourd’hui arpenter les ruelles décrépites à peu près dans le même état de conservation qu’il y a cinquante ans. C’est dans cet environnement populaire, haut en couleurs et grouillant de vie, que grandit le narrateur du roman, à peine âgé de 13 ans. Fils unique, il reçoit un jour en cadeau un “boumran” rapporté du port par son père docker, l’objet fascine le garçon, qui le manipule et le contemple jusqu’à plus soif, fait mine de s’entraîner au lancer, mais n’ose jamais véritablement lui laisser prendre son envol (par peur de ne jamais pouvoir le récupérer). Mais cette douce insouciance de l’enfance n’est déjà plus que le reflet du passé, son corps change, la voix mue et les muscles, doucement façonnés par le travail du bois chez l’ébéniste auprès duquel il a été placé en apprentissage, commencent à saillir sous la chemise de toile. Et puis il y a le regard de Maria, à peine plus âgée que lui, dont les formes s’esquissent avec encore plus de fermeté, suscitant forcément le regard des hommes. De l’amitié naît l’amour entre deux jeunes gens qui se comprennent et dont les coeurs battent au même rythme. Mais la vie n’a que peu de considération pour le bonheur et le rapprochement des deux adolescents doit tout autant à leur attirance mutuelle qu’aux contingences familiales et sociales. La mort de la mère, des suites d’une longue maladie, et la douleur du père, désormais retiré derrière un rideau de chagrin , laisse une place béante, que la jeune fille s’empresse d’occuper.

Magnifique roman sur le passage de l’enfance à l’âge adulte, Montedidio respire l’authenticité, la mélancolie d’un passé à jamais révolu, mais exalté par la puissance des sentiments qui l’ont définitivement inscrit dans la mémoire de leur auteur. Douloureux et pourtant rarement pesant, le roman d’Erri de Luca brasse des thèmes ancestraux (la pauvreté, la famille, l’amour, le viol….) sans jamais sombrer dans la caricature ou le pathos. Montedidio est au contraire porteur d’espoir et vibre au rythme de ses personnages, mais aussi et surtout au diapason de cette ville extraordinaire de Naples, pauvre par bien des aspects, mais d’une richesse culturelle et patrimoniale extraordinaire. Pour qui a déjà parcouru ses ruelles sombres et étroites, mais riches d’odeurs, de couleurs et de sons, Naples apparaît telle qu’elle est, une cité faite de bric et de broc, où derrière les façades outrageusement marquées par le temps apparaissent de magnifiques palais chargés d’histoire, où la saleté d’une arrière-cour laisse entrevoir la richesse d’un passé historique et architectural hors-normes. Ce mélange de misère sociale, de traditions populaires et d’opulence patrimoniale demeure l’empreinte indélébile de la ville, le fondement de son âme séculaire. Porté par une écriture sèche et incisive, entrecoupée de passages en napolitain (langage parlé par le peuple et notamment par les parents du narrateur), Montedidio n’est pas dénué de poésie dans la simplicité de son approche. Une certaine grâce émerge du dénuement, mettant en exergue la beauté de ces gens simples, attachés à leurs racines, maladroits dans leurs sentiments mais profondément humains.