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mardi 5 mai 2015

Pause napolitaine : Montedidio, de Erri de Luca

Ecrivain populaire, poète, dramaturge et alpiniste chevronné, Erri de Luca est originaire de Naples, mais quitta à l’âge de 18 ans la grande cité de Campanie pour Rome afin de s’engager dans la lutte révolutionnaire. Refusant d’entrer dans la clandestinité en raison de ses prises de position politiques, Erri de Luca devint ouvrier chez Fiat poursuivant son combat politique dans l’action syndicale. Ce n’est qu’en 1995, qu’il abandonna sa carrière d’ouvrier pour se consacrer entièrement à la littérature. Il vit actuellement dans les Alpes italiennes et a récemment défrayé la chronique par son activisme à l’encontre du projet de construction de ligne à grande vitesse entre Lyon et Turin. Cet engagement, profondément enraciné dans ses origines populaires et ouvrières, transparaît dans son oeuvre, qui puise directement sa source dans son passé napolitain modeste et profondément authentique. Erri De Luca apparaît donc comme une figure aujourd’hui singulière de la littérature italienne, celle de l’écrivain-ouvrier, dont la sensibilité n’est pas très éloignée de celle d’un François Cavanna (d’origine italienne et issu lui aussi d’un milieu modeste). Primé à de multiples reprises, Erri de Luca a reçu en 2002 le prix Femina pour Montedidio.


Comme nombre de ses romans, Montedidio se déroule à Naples et se révèle en grande partie autobiographique. Le récit prend place quasiment intégralement dans le quartier populaire de Monte di dio (littéralement le mont de Dieu) qui surplombe la vieille ville et dont on peut aujourd’hui arpenter les ruelles décrépites à peu près dans le même état de conservation qu’il y a cinquante ans. C’est dans cet environnement populaire, haut en couleurs et grouillant de vie, que grandit le narrateur du roman, à peine âgé de 13 ans. Fils unique, il reçoit un jour en cadeau un “boumran” rapporté du port par son père docker, l’objet fascine le garçon, qui le manipule et le contemple jusqu’à plus soif, fait mine de s’entraîner au lancer, mais n’ose jamais véritablement lui laisser prendre son envol (par peur de ne jamais pouvoir le récupérer). Mais cette douce insouciance de l’enfance n’est déjà plus que le reflet du passé, son corps change, la voix mue et les muscles, doucement façonnés par le travail du bois chez l’ébéniste auprès duquel il a été placé en apprentissage, commencent à saillir sous la chemise de toile. Et puis il y a le regard de Maria, à peine plus âgée que lui, dont les formes s’esquissent avec encore plus de fermeté, suscitant forcément le regard des hommes. De l’amitié naît l’amour entre deux jeunes gens qui se comprennent et dont les coeurs battent au même rythme. Mais la vie n’a que peu de considération pour le bonheur et le rapprochement des deux adolescents doit tout autant à leur attirance mutuelle qu’aux contingences familiales et sociales. La mort de la mère, des suites d’une longue maladie, et la douleur du père, désormais retiré derrière un rideau de chagrin , laisse une place béante, que la jeune fille s’empresse d’occuper.

Magnifique roman sur le passage de l’enfance à l’âge adulte, Montedidio respire l’authenticité, la mélancolie d’un passé à jamais révolu, mais exalté par la puissance des sentiments qui l’ont définitivement inscrit dans la mémoire de leur auteur. Douloureux et pourtant rarement pesant, le roman d’Erri de Luca brasse des thèmes ancestraux (la pauvreté, la famille, l’amour, le viol….) sans jamais sombrer dans la caricature ou le pathos. Montedidio est au contraire porteur d’espoir et vibre au rythme de ses personnages, mais aussi et surtout au diapason de cette ville extraordinaire de Naples, pauvre par bien des aspects, mais d’une richesse culturelle et patrimoniale extraordinaire. Pour qui a déjà parcouru ses ruelles sombres et étroites, mais riches d’odeurs, de couleurs et de sons, Naples apparaît telle qu’elle est, une cité faite de bric et de broc, où derrière les façades outrageusement marquées par le temps apparaissent de magnifiques palais chargés d’histoire, où la saleté d’une arrière-cour laisse entrevoir la richesse d’un passé historique et architectural hors-normes. Ce mélange de misère sociale, de traditions populaires et d’opulence patrimoniale demeure l’empreinte indélébile de la ville, le fondement de son âme séculaire. Porté par une écriture sèche et incisive, entrecoupée de passages en napolitain (langage parlé par le peuple et notamment par les parents du narrateur), Montedidio n’est pas dénué de poésie dans la simplicité de son approche. Une certaine grâce émerge du dénuement, mettant en exergue la beauté de ces gens simples, attachés à leurs racines, maladroits dans leurs sentiments mais profondément humains.

13 commentaires:

Carmen a dit…

Ce roman parle au cœur et a la grace des grands textes.

Emmanuel a dit…

Tout a fait, c'est un roman qui m'a beaucoup marqué.

Carmen a dit…

J'ai voulu mieux connaitre Erri de Luca et j'ai eu le meme émerveillement avec "Trois chevaux".
Beaucoup de poésie et de sensualité dans ce court roman.

Emmanuel a dit…

ça tombe très bien, j'ai ce roman sur ma pile à lire :-)

Carmen a dit…

"Les poissons ne ferment pas les yeux"..Erri de Luca encore et toujours..
Ce livre m'a rappelé un peu", Montedidio",l'auteur y parle des premiers émois amoureux de l'enfance qui peut etre déterminent nos amours futures.
De belles pages sur sa mère et sa grand mère soucieuse de la transmission avec beaucoup d'humilité et de dignité.
Belle chronique aussi de votre part,s'il fallait encore le souligner sur "Montedidio"

Emmanuel a dit…

Merci, c'est très gentil. J'ai un petit faible pour Tu Mio, que je vous recommande si vous ne l'avez pas encore lu.

Carmen a dit…

Ok merci pour cette suggestion.

Carmen a dit…


Bonne et heureuse année à vous.

j'ai bien aimé Tu Mio qui m'a rappelé un peu Gioconda..La vie d'un homme vouée
toute entiere à un amour de jeunesse perdu;cet amour le fera basculer dans une vie d'adulte.Cet ado investi d'une mission de gardien de Caia est touchant.
Je crois que j'ai attrapé le virus de Erri de Luca ( rires)

Emmanuel a dit…

Meilleurs voeux également pour cette nouvelle année qui commence.

Je crois qu'il est inutile de vous soigner, ce virus est parfaitement inoffensif, voire même carrément recommandable. Plus sérieusement, j'aime aussi beaucoup Erri De Luca, sa sensibilité me parle beaucoup.

Carmen a dit…


C'est la lumiere des gens du Sud,et leur nostalgie,toujours plus épaisse qu'ailleurs
qui me séduit dans ces romans.
Je retrouve cette lumiere à Marseille la meme qu'à Naples dont l'auteur est natif.

Emmanuel a dit…

C'est joliment tourné et je partage votre commentaire... mais bon, je ne suis pas totalement impartial en la matière.

Carmen a dit…

Ah oui j'avais oublié que vous étiez un ex marseillais et comme beaucoup de marseillais d'un ailleurs..c'est pour cela que je reste en terrain connu avec vous..(rires)
Pour finir avec De Luca,cette nostalgie des amours passées semble etre récurrente,meme si la fin du roman est ouverte sur des possibles,une vie ailleurs,de nouveaux départs.



Emmanuel a dit…

Il y a beaucoup de nostalgie oui dans la littérature d'Erri De Luca, mais elle est saine puisqu'elle sait aussi regarder vers l'avenir. C'est une nostalgie pleine de tendresse et non pas de regrets.