Rechercher dans ce blog

mardi 29 décembre 2015

SF biologique : V-Virus, de Scott Westerfeld

Picoré dans les rayons du CDI sans beaucoup de conviction, mais parce que parfois il faut bien aborder avec les élèves le sujet des vampires en dehors de Twilight, la lecture de ce petit roman s'est révélée très intéressante.

Cal est un vampire. Enfin, un porteur sain, car le vampirisme est une maladie, en fait, une MST plus précisément. Et tous ces symptômes que nous associons généralement aux vampires ne sont en fait qu'une adaptation des personnes infectées à la chasse qu'on leur a donné à travers les siècles. Car il faut être clair : se mettre à manger son voisin n'est pas acceptable dans de nombreuses civilisations...
Mais si Cal a quelques symptômes de la maladie (besoins protéiniques largement supérieurs à la moyenne, vision nocturne, appétit sexuel violent, force herculéenne), il est tout à fait sain d'esprit, ce qui n'est pas le cas de la plupart des vampires.
C'est pourquoi la Garde de Nuit, qui œuvre à New-York en souterrain, dans tous les sens du terme, l'a recruté pour traquer sa descendance (il a eu le temps de faire quelques victimes autour de lui avant d'être pris en main) et son ascendante, celle qui lui a transmis la maladie. Et c'est en traquant cette dernière, avec l'aide d'une apprentie journaliste fouineuse, qu'il va de surprise en surprise, pas toujours agréables, jusqu'au retournement final, fruit de l'évolution et de l'adaptation, bien entendu.

Soyons clairs : ce roman n'est pas un chef d'œuvre, mais il est très bien écrit et agréable à lire, un chapitre sur deux est une description assez délicieusement horrifique des dégâts que peuvent causer de très réels parasites, et l'ambiance est glauque juste ce qu'il faut pour frissonner sans cauchemarder. Et puis il n'y a pas tant de romans de science-fiction qui abordent l'évolution des espèces, particulièrement pour un jeune public, même si l'histoire reflète moyennement la complexité du phénomène et simplifie radicalement les processus. Pas trop jeune quand même, le public : je ne recommanderai pas ce bouquin avant la fin de la quatrième, et pas aux âmes tendres. Mais on reste dans le glauque raisonnable.
Et j'espère tomber sur un futur biologiste pour lui mettre en main ce petit cours de parasitologie appliqué.

Histoire aux tripes : Pas pleurer, de Lydie Salvayre

     Montse oublie tout, vieillesse et maladie emportent sa mémoire, bons et mauvais souvenirs. Mais elle n'a pas oublié l'été 36, en Espagne, cet été où elle a découvert la vie. Et elle le raconte à sa fille.
     Voilà. On pourrait s'arrêter là sur le prix Goncourt 2014. On aurait  à peu près tout dit et pourtant, on n'aurait pas approché d'un millimètre l'émotion extraordinaire qui vous empoigne dès les premières pages de lecture. Parce que cette histoire qui rejoint l'Histoire est poignante, parce que ce livre est un bonheur d'écriture à deux voix, parce que ce livre vous donne envie de relire Bernanos, et vous vaccine contre les grands idéaux.

    Mais reprenons un peu mieux. Monserrat, dit Montse, est, en 1936, une jeune fille de 16 ans, très pauvre, qui vit dans un petit village comme tant d'autres, sous la coupe d'un grand propriétaire, ni pire ni meilleur qu'un autre. Alors que sa mère cherche à la faire entrer comme bonne dans la maison dudit grand propriétaire, elle se rebelle contre l'humiliation, et grâce à son frère qui dans l'enthousiasme de la jeunesse et de la jeune démocratie, est devenu anarchiste, elle découvre la ville, et un autre monde, une autre vie, et l'amour. Une explosion de joie pure.
     Mais l'été ne dure pas. Son frère, plein d'idéal et qui a mis la révolution en route dans le village revient échaudé par l'insouciance et l'impréparation de ceux qui auraient pu devenir ses compagnons d'armes, et découvre que "sa" révolution a été reprise en main et confisquée par le représentant communiste du village, qui n'est autre que le fils adoptif et aigri du grand propriétaire. Montse, elle, a connu l'amour foudroyant d'un jeune français et rapporte au village une grossesse. Tout n'est ensuite que désillusion lente et implacable comme celle, en reflet, qui frappa Bernanos aux Baléares, lui qui se situait dans le camp des franquistes et qui dénonça les atrocités insupportables à ses yeux commises par les phalangistes et couvertes par l’Église catholique. Des grandes illusions et des grands principes des protagonistes, il ne reste à la fin que le principe de réalité et la fuite devant l'avancée des troupes mortifères de Franco, que ce soit celle de Montse ou bien celle de Bernanos.
A travers une douzaine de portraits, un peu caricaturaux au départ mais qui prennent chair et complexité les uns après les autres, à travers la vie quotidienne d'un petit village, c'est l'Espagne de la guerre civile qui prend corps, les formidables attentes que suscita la République, mais aussi l'extraordinaire pesanteur de la société villageoise. Avec le dialogue de la mémoire de Montse et celle de George Bernanos, ce sont les deux faces d'une même médaille que Lydie Salvayre conjugue admirablement : la lente mais inexorable victoire de la mort sur la vie. 
     Et pourtant cette étincelle brûlante que toute une vie d'exil et de travail difficile, alliée à la maladie, n'a jamais pu faire disparaître, vit encore, brûle encore au cœur Montse au soir de sa vie et luit encore dans sa mémoire dévastée. Une grande désillusion, mais un espoir fabuleux en forme de souvenir, c'est peut-être ça le grand bonheur de ce livre, l'essence même de l'été 1936 pour Montse, et peut-être pour tant d'Espagnols qui ont entrevu alors une autre vie, inimaginable de joie et de ferveur.

jeudi 3 décembre 2015

Chanbara littéraire : La trilogie de Matsuyama Kaze, de Dale Furutani

Publié chez 10/18 dans la collection grands détectives, la trilogie de Matsuyama Kaze est bien plus qu’un roman à énigme se déroulant dans un cadre historique. Dale Furutani, écrivain américain d’origine japonaise, est un excellent  connaisseur du Japon où il a vécu durant plusieurs années. Sa connaissance de la culture et de l’histoire nipponnes se reflètent admirablement dans ces trois romans, qui peuvent se lire indépendamment mais qui prennent tout leur sens et leur ampleur lorsqu’ils sont lus à la suite. Cette aventure d’un rônin esseulé dans un Japon dominé par les Tokugawa n’est pas sans rappeler d’autres oeuvres se déroulant également au début du XVIIème siècle. Cette proximité n’est pas le fait du hasard puisque le héros de cette trilogie, Matsuyama Kaze, évoque un certain Miyamoto Musashi, dont on a pu apprécier les péripéties dans La pierre et le sabre et La parfaite lumière de Eiji Yoshikawa. Cette période est également le cadre de nombreux films de Samouraïs et Dale Furutani ne se gêne d’ailleurs pas pour rendre hommage aux plus grands maîtres du chanbara, en particulier Akira Kurosawa.

Le début de l’ère Edo est sans doute l’une des périodes de l’histoire du Japon qui fascine le plus les Japonais eux-mêmes, probablement parce qu’elle fut très riche en événements et en symboles, mais également parce qu’elle fut à l’origine d’une longue période de stabilité culturelle et politique pour le pays. En 1600, Tokugawa Ieyasu (troisième et dernier unificateur du Japon), prend le pouvoir à la suite de la bataille de Sekigahara et reçoit le titre de Shogun. La dynastie qu’il crée conservera le pouvoir durant plusieurs siècles et assurera la stabilité des structures sociales et politiques d’un pays qui restera quasiment figé jusqu’au XIXème siècle. L’ère Edo marque ainsi un certain apaisement militaire, la puissance de la mainmise des shoguns Tokugawa sur le pays et l’intelligence de leur gouvernance mettent fin à une longue période d’instabilité et de guerres féodales fratricides entre daimyos. Cette période caractérisée par une société très hiérarchisée et extrêmement rigide, est également marquée par un repli du pays sur des valeurs ancestrales valorisées à l’extrême, dont le bushido est le point culminant. Le Japon devient un territoire interdit aux étrangers, cantonnés à quelques comptoirs commerciaux comme Nagasaki, n’entretenant que des relations diplomatiques minimales avec le reste du monde (seules la Chine et la Corée peuvent réellement commercer avec le Japon).  Les armes à feu sont interdites, de même que la plupart des produits venus d’Occident. Mais le Japon n’en est pas tout à fait là au moment où débutent les romans de Dale Furutani.

Matsuyama Kaze, rônin parcourant les routes du Tokaido, était autrefois un samouraï fort respecté, sa maîtrise du sabre n’avait d’ailleurs pas d’égal dans tout le Japon. L’homme portait à l’époque un autre nom et servait un seigneur puissant. Mais son maître eut le tort de soutenir le clan Toyotomi, dont les armées furent balayées lors de la bataille de Sekigahara par les forces Tokugawa. Désormais, le puissant samouraï est devenu un rônin, un guerrier sans maître, sans domaine et sans famille. Tout juste eut-il le temps de faire une promesse alors que sa maîtresse agonisait. Matsuyama Kaze promit de retrouver la fille de cette dernière, enlevée alors que les troupes ennemies mettaient à feu et à sang le fief de son seigneur.

Mêlant habilement plusieurs registres, la trilogie de Matsuyama Kaze exploite tout autant les ressorts du roman d’aventure que ceux du roman à énigme, mais sous ces faux airs de récit bon enfant se cache en réalité une oeuvre historique d’un grand intérêt pédagogique. Le premier volume de la trilogie est certes un peu poussif, mais rapidement l’intrigue se met en place et l’auteur s’autorise davantage de libertés en terme de narration, multipliant les légères digressions (justifiées) et les flashbacks. Au fil des tomes, l’intrigue secondaire, à savoir la recherche de l’enfant, devient de plus en plus prépondérante, occupant même l’essentiel du récit dans le dernier volume. Mais le plus intéressant réside probablement dans l’arrière-plan historique, discrètement dévoilé tout au long de cette trilogie. Le lecteur plus ou moins ignorant des faits découvre une multitude de détails, d’éléments historiques ou culturels qui font toute la richesse du récit. C’est finalement une véritable photographie de la société japonaise du début du XVIIème siècle qui apparaît en filigrane, son caractère éminemment hiérarchique et parfois sclérosé, son rapport à la violence et à la mort, son hypocrisie intrinsèque sous un vernis de façade ultra codifié… même le fameux bushido apparaît comme un paravent grâce auquel une caste s’autorise des comportements pourtant très éloignés du code d’honneur tant prôné.  Au milieu de ce déferlement de haine et de violence codifiée, Matsuyama Kaze s’élève au-dessus de la mêlée, incarnant la figure charismatique du guerrier-zen, bretteur incroyablement talentueux, sûr de sa force et de son talent, mais qu’il n’emploie qu’à bon escient. L’homme est un sage doublé d’un redresseur de torts, un samouraï parfaitement maître de son corps, cultivé, instruit, désintéressé et de fait incroyablement attachant. Un personnage d’autant plus admirable qu’il aurait pu verser dans le cliché le plus éculé sans la retenue dont fait preuve tout au long de ses romans Dale Furutani. Servie par une plume simple mais non dénuée d’élégance et de poésie, la trilogie de Matsuyama Kaze est un roman de divertissement intelligent et savamment construit, mais surtout étonnamment digeste. Certes, l’ambition littéraire reste ici mesurée, mais c’est tout à l’honneur de son auteur.