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jeudi 3 décembre 2015

Chanbara littéraire : La trilogie de Matsuyama Kaze, de Dale Furutani

Publié chez 10/18 dans la collection grands détectives, la trilogie de Matsuyama Kaze est bien plus qu’un roman à énigme se déroulant dans un cadre historique. Dale Furutani, écrivain américain d’origine japonaise, est un excellent  connaisseur du Japon où il a vécu durant plusieurs années. Sa connaissance de la culture et de l’histoire nipponnes se reflètent admirablement dans ces trois romans, qui peuvent se lire indépendamment mais qui prennent tout leur sens et leur ampleur lorsqu’ils sont lus à la suite. Cette aventure d’un rônin esseulé dans un Japon dominé par les Tokugawa n’est pas sans rappeler d’autres oeuvres se déroulant également au début du XVIIème siècle. Cette proximité n’est pas le fait du hasard puisque le héros de cette trilogie, Matsuyama Kaze, évoque un certain Miyamoto Musashi, dont on a pu apprécier les péripéties dans La pierre et le sabre et La parfaite lumière de Eiji Yoshikawa. Cette période est également le cadre de nombreux films de Samouraïs et Dale Furutani ne se gêne d’ailleurs pas pour rendre hommage aux plus grands maîtres du chanbara, en particulier Akira Kurosawa.

Le début de l’ère Edo est sans doute l’une des périodes de l’histoire du Japon qui fascine le plus les Japonais eux-mêmes, probablement parce qu’elle fut très riche en événements et en symboles, mais également parce qu’elle fut à l’origine d’une longue période de stabilité culturelle et politique pour le pays. En 1600, Tokugawa Ieyasu (troisième et dernier unificateur du Japon), prend le pouvoir à la suite de la bataille de Sekigahara et reçoit le titre de Shogun. La dynastie qu’il crée conservera le pouvoir durant plusieurs siècles et assurera la stabilité des structures sociales et politiques d’un pays qui restera quasiment figé jusqu’au XIXème siècle. L’ère Edo marque ainsi un certain apaisement militaire, la puissance de la mainmise des shoguns Tokugawa sur le pays et l’intelligence de leur gouvernance mettent fin à une longue période d’instabilité et de guerres féodales fratricides entre daimyos. Cette période caractérisée par une société très hiérarchisée et extrêmement rigide, est également marquée par un repli du pays sur des valeurs ancestrales valorisées à l’extrême, dont le bushido est le point culminant. Le Japon devient un territoire interdit aux étrangers, cantonnés à quelques comptoirs commerciaux comme Nagasaki, n’entretenant que des relations diplomatiques minimales avec le reste du monde (seules la Chine et la Corée peuvent réellement commercer avec le Japon).  Les armes à feu sont interdites, de même que la plupart des produits venus d’Occident. Mais le Japon n’en est pas tout à fait là au moment où débutent les romans de Dale Furutani.

Matsuyama Kaze, rônin parcourant les routes du Tokaido, était autrefois un samouraï fort respecté, sa maîtrise du sabre n’avait d’ailleurs pas d’égal dans tout le Japon. L’homme portait à l’époque un autre nom et servait un seigneur puissant. Mais son maître eut le tort de soutenir le clan Toyotomi, dont les armées furent balayées lors de la bataille de Sekigahara par les forces Tokugawa. Désormais, le puissant samouraï est devenu un rônin, un guerrier sans maître, sans domaine et sans famille. Tout juste eut-il le temps de faire une promesse alors que sa maîtresse agonisait. Matsuyama Kaze promit de retrouver la fille de cette dernière, enlevée alors que les troupes ennemies mettaient à feu et à sang le fief de son seigneur.

Mêlant habilement plusieurs registres, la trilogie de Matsuyama Kaze exploite tout autant les ressorts du roman d’aventure que ceux du roman à énigme, mais sous ces faux airs de récit bon enfant se cache en réalité une oeuvre historique d’un grand intérêt pédagogique. Le premier volume de la trilogie est certes un peu poussif, mais rapidement l’intrigue se met en place et l’auteur s’autorise davantage de libertés en terme de narration, multipliant les légères digressions (justifiées) et les flashbacks. Au fil des tomes, l’intrigue secondaire, à savoir la recherche de l’enfant, devient de plus en plus prépondérante, occupant même l’essentiel du récit dans le dernier volume. Mais le plus intéressant réside probablement dans l’arrière-plan historique, discrètement dévoilé tout au long de cette trilogie. Le lecteur plus ou moins ignorant des faits découvre une multitude de détails, d’éléments historiques ou culturels qui font toute la richesse du récit. C’est finalement une véritable photographie de la société japonaise du début du XVIIème siècle qui apparaît en filigrane, son caractère éminemment hiérarchique et parfois sclérosé, son rapport à la violence et à la mort, son hypocrisie intrinsèque sous un vernis de façade ultra codifié… même le fameux bushido apparaît comme un paravent grâce auquel une caste s’autorise des comportements pourtant très éloignés du code d’honneur tant prôné.  Au milieu de ce déferlement de haine et de violence codifiée, Matsuyama Kaze s’élève au-dessus de la mêlée, incarnant la figure charismatique du guerrier-zen, bretteur incroyablement talentueux, sûr de sa force et de son talent, mais qu’il n’emploie qu’à bon escient. L’homme est un sage doublé d’un redresseur de torts, un samouraï parfaitement maître de son corps, cultivé, instruit, désintéressé et de fait incroyablement attachant. Un personnage d’autant plus admirable qu’il aurait pu verser dans le cliché le plus éculé sans la retenue dont fait preuve tout au long de ses romans Dale Furutani. Servie par une plume simple mais non dénuée d’élégance et de poésie, la trilogie de Matsuyama Kaze est un roman de divertissement intelligent et savamment construit, mais surtout étonnamment digeste. Certes, l’ambition littéraire reste ici mesurée, mais c’est tout à l’honneur de son auteur.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Oui des similitudes avec La pierre et le sabre.
Vos chroniques témoignent d’une bonne connaissance de l’histoire du Japon.

Emmanuel a dit…

Je m'efforce dans la mesure du possible de ne pas écrire trop d'âneries. Mais merci pour le compliment.