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jeudi 27 avril 2017

Australian flow : Respire, de Tim Winton

Les romans sur le surf sont, c’est un fait, loin d’être légion et s’il fallait de plus ne retenir que les plus réussis, il est fort probable que les doigts d’une seule main suffiraient : Surf city de Kem Nunn (ainsi que Le sabot du diable et Tijuana Straight du même auteur), Surfer la nuit de Fiona Capp et Shangrila de Malcom Knox. Avec Respire de Tim Winton, il faudra désormais utiliser sa seconde main pour faire le décompte, et ça, c’est plutôt une bonne nouvelle. Il faut bien reconnaître qu’évoquer le surf à travers la littérature, c’est un peu comme faire de la poésie au cinéma, c'est rarement convaincant ; probablement parce que le surf reste une expérience des sens et du corps, un combat autant qu’une communion avec la puissance de l’océan, que l’on peut tenter de décrire avec des mots, mais qui définitivement se ressent. Certains rétorqueront que les sentiments et les sensations peuvent se coucher sur le papier, certes, mais il est fort probable que pour ceux qui n’ont jamais senti sous leurs pieds la puissance phénoménale d’une vague qui se soulève, ce mélange de peur et de jubilation lorsqu’elle menace de vous engloutir et que dans une subtile manoeuvre vous échappez au déferlement tant redouté, les mots ne suffisent pas. Il est d’ailleurs symptomatique de constater que les meilleurs romans sur le surf, sont les oeuvres d’écrivains adeptes eux-mêmes de cette pratique. Le fil conducteur de la réussite de ces quelques romans est finalement assez évident, tous ont un propos qui dépasse largement le cadre du surf. Oui, c’est bête comme chou, mais pour faire un bon roman, il faut avant tout une bonne histoire.

    Bruce Pike, dit Pikelet, âgé d’une douzaine d’années, se lie d’amitié avec une tête brûlée du nom de Loonie. Ensemble ils font les quatre cents coups, se lancent des défis et tentent de tuer l’ennui qui menace de les terrasser chaque jour qu’ils passent dans leur petit village perdu de la côte occidentale australienne. C’est que Perth, la grande ville de l’Ouest, est bien éloignée de leur centre de gravité. De l’océan pourtant tout proche, ils ne savent rien ou pas grand chose, tout juste comprennent-ils que les adultes s’en méfient et osent tout au plus aller pêcher dans l’embouchure de la rivière les week-ends de grand beau. Mais Pikelet et Loonie ont l’esprit aventureux, et, bravant les interdictions parentales, se lancent à l’assaut de l’océan et de ses vagues majestueuses. Très vites ils deviennent les grommets les plus en vue de ce petit coin paumé de l’Australie, faisant la nique aux surfeurs plus âgés venus taquiner le swell. Mais c’est leur rencontre avec Sando, un surfeur-baroudeur de légende, adepte des grosses vagues et de la houle qui tabasse, qui leur mettra définitivement le pied à l’étrier. En compagnie de celui qui fera désormais autant office de gourou que de grand frère, ils repousseront leurs limites, frôleront la mort pour atteindre des sensations hors de portée du commun des mortels. Surfant des murs d’eau de plus de six mètres, risquant leur vie sur des vagues réputées insurfables, ils pulvériseront les règles et forgeront leur légende. Mais de cette amitié puissante, naîtra également une compétition mortifère, une rivalité mesquine qui sera le ferment de leur séparation.

"La formidable accélération du corps qu'on sentait au moment de l'envol sur les déferlements de lame, le vent dans les oreilles. On a vite compris ce que cette sensation avait de narcotique, et le degré d'accoutumance qu'elle entraîna ; dès le premier jour, j'ai été défoncé rien que de regarder."

    Roman initiatique par excellence, Respire est bien plus qu’un livre sur le surf, même si son apprentissage et sa philosophie (tout du moins son pendant libertaire) sont au coeur de l’ouvrage de Tim Winton. Le choix de l’époque n’est d’ailleurs pas tout à fait innocent et colle parfaitement aux propos de l’auteur, à cette recherche de liberté et d’absolu dans la pratique du surf. Les années soixante-dix représentent en effet un âge d’or du surf, une période souvent évoquée avec nostalgie par ceux qui ont vécu cet âge révolu où la compétition n’avait pas encore pris le dessus, où ce sport n’était pas encore devenu un business, mais représentait un art de vivre et, à la marge, une pratique extrême. A travers le personnage de Sando, Respire semble s’être directement abreuvé à la fontaine du Endless Summer de 1966 (film devenu mythique, dans lequel deux surfeurs parcourent la planète à la recherche de la vague parfaite), mais ce qui le distingue du film de Bruce Brown c’est la dimension initiatique qui lie les trois principaux personnages, car avant d’être un roman sur le surf, Respire est un roman sur l’adolescence, sur le passage de l’enfance à l’âge adulte. Le grand talent de Tim Winton, c’est d’avoir compris à quel point la pratique du surf correspond parfaitement aux lignes de fracture qui caractérisent cette époque de la vie, cette période de tous les possibles où chacun est en capacité de tracer un chemin de vie, celle où l’on expérimente, où l’on se met en danger pour s’éprouver avant de faire ses propres choix. Cette capacité à transcender son sujet, fait de Respire, en dépit de quelques termes techniques lors des scènes de surf, un roman parfaitement accessible aux non-intiés, le style de Tim Winton étant par ailleurs d’une fluidité exemplaire, comme à son habitude.

4 commentaires:

Carmen a dit…

Tu précises bien que "Respire" peut être lu par les non initiés au surf..C'est ok pour moi alors.Et même il n'est pas nécessaire d'être ado je suppose.
Le souci que j'ai avec Tim Winton,c'est que je comprends pas toujours ses fins de romans.🙂
A voir.

Emmanuel a dit…

C'est marrant ce que tu dis sur les fins des romans de Tim Winton, parce que j'ai lu récemment Cet oeil, le ciel, et j'avoue que j'ai eu du mal à comprendre où l'auteur voulait en venir et la fin m'a laissé un peu interloqué.

Sinon Tim Winton écrit aussi des romans pour les ados, rien à voir avec Respire.

Carmen a dit…

C'est justement la fin de"Cet œil,le ciel"qui m'avait posé le même problème qu'à toi. C'est un peu frustrant ces fins incompréhensibles.
Disons que l'arrivée de cet évangéliste précipite la famille dans un chaos final.

Emmanuel a dit…

Je comptais écrire un papier sur ce bouquin, mais finalement j'ai laissé passer bien trop de temps et j'aurais peur de raconter des bêtises. Très honnêtement, je ne sais pas trop où Tim Winton voulait en venir dans Cet oeil, le ciel, ce qu'il souhaitait raconter d'autre que la simple description d'une tranche de vie. C'est dommage, les personnages sont bons et l'écriture est toujours aussi soignée, mais rien à faire, j'ai eu l'impression qu'il manquait une bonne centaine de pages pour obtenir quelque chose de plus abouti. C'est rare que je dise un truc comme ça, d'habitude j'ai tendance à penser que les éditeurs ne font pas assez leur boulot et que les auteurs ne savent pas élaguer lorsque c'est nécessaire.