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jeudi 11 mai 2017

Space Opera basique : L'éveil du Leviathan, de James S.A. Corey

Arghhhh, un roman de space opera grand public écrit par un illustre inconnu (deux en fait puisqu’il s’agit d’un pseudonyme commun), voilà qui devrait faire frémir d’horreur les quelques survivants du cafardcosmique qui traînent de temps à autre leurs guêtres sur ce blog (j’en profite pour vous saluer, ça fait une paye les gars). Oui mais bon voilà, parfois lire un roman grand public, qui ne nécessite aucun effort, un page-turner calibré aux petits oignons par des années d’apprentissage dans des ateliers d’écriture anglo-saxons, ben ça détend le soir lorsque les batteries sont à plat. Bon très honnêtement, l’arrivée d’Actes Sud dans le domaine de la SF m’avait également quelque peu intrigué et j’avais tout simplement envie de découvrir ce qu’un éditeur aussi prestigieux et exigeant avait à nous proposer après avoir eu le nez creux (commercialement) concernant la publication de Silo, énorme succès public s’il en est. Mais soyons honnêtes, avant d’en dire davantage concernant The expanse, ce n’est pas chez l’éditeur arlésien qu’il faudra aller chercher le frisson de la nouveauté, zéro prise de risque et des incursions dans le domaine de la SF que l’on aurait plutôt vu du côté de Bragelonne tant Silo et The expanse font figure d’oeuvres génériques et consensuelles (ouille, je vais encore me faire traiter de connard élitiste). Bref, les éditeurs spécialisés dans la SF n’ont pas d’inquiétude à avoir, ce n’est pas Actes Sud qui viendra leur tailler des croupières dans leur pré carré, même si je conçois que le succès de romans, somme toute assez peu ambitieux littérairement parlant, puisse exaspérer ceux qui tentent depuis des décennies de construire un catalogue de qualité et oeuvrent pour sortir la SF de la niche culturelle dont elle souffre encore aujourd’hui. Mais ne soyons pas aigris et essayons de sortir du schéma élitiste classique consistant à mépriser cordialement le space opera (sauf quand c’est du Iain M. Banks, faut quand même pas pousser) et voyons ce que nous réserve ce The expanse, succès considérable outre-atlantique désormais décliné en série TV (très cheap soyons honnêtes, c’est pas une production HBO).


Doté d’un background qui, à défaut d’être foncièrement original, paraît solide, The Expanse mise sur trois éléments pour constituer le coeur de son récit : l’arrière-plan politique, l’action et ….. et euh c’est tout en fait, bon ok, ça ne fait que deux. On vous avait prévenu, le scénario n’est pas d’une originalité folle, mais il a le mérite d’être efficace. Dans un futur plus ou moins éloigné, l’humanité a réussi à coloniser une grande partie du système solaire, la Terre est désormais surpeuplée (32 milliards d’habitants), sa population est rigoureusement contrôlée et ses ressources sont grandement dépendantes de l’exploitation des matières premières qui se situent sur d’autres planètes et dans la ceinture d’astéroïdes. Mais les relations entre la planète-mère et ses colonies sont très tendues et le système solaire repose sur un équilibre bien précaire entre d’une part les planètes intérieures (Terre, Mars, Vénus et Mercure) et d’autre part les planètes extérieures (principalement la ceinture d’astéroïdes), qui supportent de plus en plus difficilement la pression économique et sociale exercée par les grandes compagnies interplanétaires. Cette guerre froide tient à peu de choses, en réalité une seule, l’interdépendance des uns et des autres vis à vis des ressources exclusives de chaque zone. Mais au sein même des planètes intérieures, les relations entre Mars et la Terre sont loin d’être idylliques et il en faudrait peu pour qu’un conflit éclate au grand jour, juste une petite étincelle. Quelque part du côté de la ceinture, le Canterburry, un transport commercial chargé de ramener d’immense blocs de glace destinés à alimenter en eau les planètes extérieures, capte un signal de détresse en provenance du Scopuli. Mais alors qu’il tente de lui porter secours, le Canterburry est littéralement pulvérisé par un bâtiment de combat furtif d’origine inconnue. Seul, James Holden, le second, et quatre membres d’équipage survivent et prennent la fuite à bord d’une navette, rapidement interceptée par un destroyer martien. Le Donnager aurait dû être en mesure d’assurer leur sécurité, mais ce dernier est lui aussi attaqué par le vaisseau militaire furtif et succombe à l’assaut. Exfiltrés du Donnager en feu, James Holden et ses compagnons se retrouvent donc au coeur d’un conflit qui menace d’embraser le système solaire, les uns accusant les autres d’actes de piraterie ou de provocations caractérisées. Cet arc narratif n’est en réalité pas le seul de The Expanse, puisque le lecteur est invité à suivre l’enquête d’un flic, Miller, basé sur Cérès (principal port spatial de la ceinture), à qui l’on confie la mission de retrouver une jeune femme mystérieusement disparue. Son enquête le mènera étrangement sur les pas de James Holden et d’un mystérieux agent pathogène d’origine extraterrestre.


Une pincée de Philip K. Dick (pour l’aspect conglomérat surpuissant), un poil Kim Stanley Robinson (pour les intrigues politiques), un soupçon de Ken MacLeod (pour l’aspect conflit entre colonies et mère patrie), The Expanse lorgne par son ambiance du côté de Universal War One de Bajram. Mais il y a une référence moins évidente qui transparaît également à travers ce roman, l’enquête de Miller n’est pas sans rappeler Sylvia, le roman d’Howard Fast dans lequel un enquêteur, chargé d’élucider le meurtre d’une jeune-femme, tombe amoureux  d’elle après avoir reconstitué et idéalisé sa personnalité. Contre toute attente, c’est un élément qui fonctionne parfaitement et confère une peu d’humanité à un roman qui se montre relativement peu subtil dans ses développements psychologiques et dans la caractérisation des personnages. En dehors de cet élément, inattendu dans ce type d’ouvrage, The Expanse est un roman plutôt convenu mais pas déplaisant. C’est bien construit (malgré une qualité d’écriture très quelconque), efficace, parfois même intriguant… mais au final on n’en retient pas grand chose. Juste une lecture récréative, loin d’être honteuse, mais que l’on s’empressera d’oublier rapidement. Bref, vous feriez mieux d’aller jeter un oeil sur Sylvia d’Howard Fast, je m’engage à rembourser les déçus éventuels.

lundi 8 mai 2017

Petit manga féministe : Arte, de Kei Ohkubo

Il était une fois une petite Florentine du 16e siècle qui s'appelait Arte et qui adorait dessiner. Ce don, encouragé par son papa, était devenu une véritable passion. Malheureusement, papa meurt, et la mère d'Arte décide qu'il est temps pour sa fille de se consacrer à l'unique tâche importante de sa vie : son futur mariage.
Bien sûr, Arte ne l'entend pas de cette oreille et décide de partir de chez elle pour devenir artiste peintre. Mais est-ce qu'une jeune femme a la moindre chance de se faire embaucher comme apprentie peintre dans un atelier, à Florence, au 16e siècle ? C'est sans compter sur la détermination de notre héroïne, son caractère bien trempée et son enthousiasme échevelé. Et sa rencontre avec un maître peu banal, tout son contraire bien sûr : Maître Léo est un solitaire renfrogné, genre ours mal léché (mais beau gosse), et d'un caractère sombre et ombrageux. C'est un excellent peintre qui a dû s'imposer lui aussi dans le milieu, pour d'autres raisons.
Nous voici donc partis pour déjà  cinq tomes des aventures de la demoiselle dans un Florence couleurs Renaissance, à la découverte de toutes les strates de la société et de la condition féminine.
Soyons clair : si le lecteur souhaite une approche historique de l'Italie de la Renaissance, il vaut mieux se plonger dans un autre manga beaucoup élaboré : Cesare de Fuyumi Soryo (dont le 12e tome me fait languir, quelqu'un a-t-il des nouvelles ?). Arte a des côtés femme libérée qui cadre mal avec la société florentine de l'époque, les personnages sont bien typés (sans être caricaturaux) et les dialogues n'ont pas la finesse et la haute tenue des conversations politico-philosophiques d'Angelo et de Cesare. Mais Arte pose la question de la place des femmes dans la société (hier, aujourd'hui et hélas demain) en s'attachant à de nombreuses figures féminines : la courtisane Véronica, la couturière Dacia, ou la petite aristocrate Caterina. Elle étale les stéréotypes pour mieux s'y confronter ou les renverser. Et c'est bien là ce qui me plait...
D'abord c'est une héroïne, et il n'y en a pas tant dans les mangas (certes il y a le Major Kusanagi de Ghost in the Shell, mais comme elle se pose déjà des questions sur son humanité, alors son sexe, hein...). Ensuite, c'est une héroïne sans super-pouvoirs, sinon sa passion et sa volonté de fer de devenir artiste-peintre. Elle est naïve, maladroite, généreuse, curieuse, et elle respire la joie de vivre. Que du positif. Et son but est de s'imposer dans un monde d'homme, mais en tant que femme : il ne s'agit pas pour elle de devenir un garçon manqué, mais de prendre toute sa place d'artiste peintre dans ce monde à domination masculine.Et elle apprend à user de cette féminité. par certains aspects elle m'évoque la figure de Christine de Pizan, première femme qui a vécu de sa plume au temps du roi Charles VI.
La part féministe en moi ne peut qu'approuver cette ambition, et qui plus est portée par un manga à mettre en toutes les mains, surtout celles de mes collégiennes qui doivent chaque jour composer avec le machisme de leurs petits camarades. Le dessin est très agréable, très fin et dynamique (le dynamisme, c'est le charme d'Arte !). Le scénario est classique : une succession d'épreuves attendent notre apprentie, qui va les surmonter avec l'aide de ses ami·e·s, car elle a plein d'ami·e·s, on ne résiste pas à son charme ! Le suspense est bien amené est on est toujours en manque du prochain volume.

Alors, vive Arte et vive ses aventures, dont j'attends le 6e tome avec une grande impatience !