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jeudi 1 juin 2017

Fantaisie britannique : L'âme des horloges, de David Mitchell

Quatre ans que les fans de David Mitchell attendaient une nouvelle traduction d’un roman de l’écrivain britannique le plus en vue de sa génération, depuis la publication des Mille automnes de Jacob de Zoet, formidable roman historique qui lorgnait très légèrement sur le fantastique. Depuis, c’était silence radio aux éditions de L’Olivier, alors que l’auteur avait publié outre-manche The bone clocks (2014) et Slade House (2015). On était donc en droit de s’inquiéter tout en élaborant des théories défaitistes sur le manque d’abnégation et l’absence de courage des éditeurs français face aux ventes trop timides de leur poulain (point de vue typique du lecteur totalement déconnecté des réalités économiques du secteur éditorial). Le cheval de course se serait-il transformé en vieux poney Shetland asthmatique ? Mystère, toujours est-il que L’Olivier semble à nouveau croire en la bonne étoile de David Mitchell, tout en essayant de se raccrocher aux branches les plus solides, en témoigne le bandeau promotionnel qui accompagne le livre et surfe allégrement sur le succès (littéraire et cinématographique) de Cartographie des nuages. Entendons-nous bien, il ne s’agit pas d’une critique, il faut bien rafraîchir la mémoire des lecteurs, qu’ils ont parfois fort courte, en utilisant les techniques commerciales les plus évidentes. Non, ce qui est fort dommage c’est que le public se montre aussi inconstant et volage, au risque de voir certains auteurs étrangers disparaître du paysage littéraire francophone, faute de lecteurs suffisants pour assurer le coût d’une traduction. Phénomène bien connu des amateurs de science-fiction, qui attendent désespérément la traduction d’oeuvres importantes (au hasard The baroque Cycle de Neal Stephenson), mais devront nécessairement se faire une raison : pas assez de lecteurs potentiels pour justifier le risque économique que représente une traduction. Observez également l’ouverture de la collection Lunes d’encre aux auteurs francophones, certes l’arrivée de manuscrits de langue française de qualité a certainement oeuvré en ce sens, mais ne nous voilons pas la face, les impératifs économiques y ont également largement contribué. Dont acte !

Mais revenons à l’essentiel, à savoir l’arrivée de ce nouveau roman de David Mitchel sur les étals des libraires, un pavé comme il se doit, auréolé du prestigieux World Fantasy Award, qui fleure bon le mélange des genres à la manière de Ecrits fantômes ou Cartographie des nuages. Après avoir exploré des narrations plus linéaires, Mitchell revient donc aux constructions sophistiquées de ses premiers romans, multipliant les arcs narratifs, les personnages et les époques, mais sans pour autant sombrer dans le piège de la répétition (même si l’on retrouve quelques traits caractéristiques de son oeuvre).

    Commençons tout d’abord par évacuer une question fondamentale, L’âme des horloges est un roman relevant du fantastique, même si comme à son habitude, et en bon marionnettiste, Mitchell brouille les pistes et n'hésite pas à utiliser d’autres codes à loisir (thriller, science-fiction, chronique familiale). Cet épineuse question étant réglée (je suis ironique si je veux), intéressons-nous au contenu, qui se présente sous la forme d’un récit choral dont le personnage central n’est autre qu’une certaine Holly Sykes, jeune fille d’une quinzaine d’années vivant dans une petite ville non loin de Londres. Expliquons-nous avant que certains ne prennent la fuite, L’âme des horloges est bien un roman choral, mais Holly Sykes tient une importance capitale dans chacun des récits qui le composent, à la manière des poupées gigogne, les récits s'emboîtent et s’entremêlent. Holly est le fil directeur autour duquel l’auteur compose la savante architecture de son oeuvre, il n’est donc guère étonnant qu’il s’agisse du personnage qui débute et qui clôt le roman. Donc Holly est une jeune fille un peu rebelle, fille d’un couple de tenanciers de pub, qui, à la suite d’un chagrin d’amour et d’une discussion un peu houleuse avec sa mère, décide de fuguer plus ou moins temporairement. Durant son errance, la jeune fille fait d’étranges rencontres qui semblent résonner avec les voix qu’elle entend depuis sa petite enfance et cet étrange don qui lui permet de deviner beaucoup de choses à l’avance. Et puis il y a son étrange petit frère, étonnamment sage et mature pour son âge, un adulte en miniature, coincé dans un corps d’enfant et qui semble évoluer hors du temps. Alors cette mystérieuse femme au bord de la rivière, qui semble tout connaître d’elle et lui pose d’étrange questions, est-ce à nouveau un tour de son esprit tourmenté ou bien un être doté de pouvoirs surnaturels ? Changement de décor dans le second récit, avec Hugo Lamb, jeune loup issu des classes supérieures de la société britannique. Etudiant à Cambridge, Hugo a les dents qui rayent le parquet, un sens moral plus que douteux, mais un physique de jeune premier qui lui permettent largement de compenser auprès de la gent féminine. En vacances dans une
station de ski Suisse, Hugo fait la rencontre de Holly Sykes, désormais âgée d’une vingtaine d’années et qu’il trouve fort à son goût, quoiqu’un peu déplumée. Mais la jeune femme résiste à son charme ravageur, se refusant à lui, se dérobant à la moindre occasion. Marquée par la disparition subite de son jeune frère, Holly se méfie des énergumènes du calibre du jeune britannique… jusqu’à un certain point. Pourtant, malgré une nuit d’amour partagé, Hugo cède aux sirènes d’un certain A. Pfenninger, un homme à la prestance imposante, chef d’une société secrète, les Anachorètes, dont les membres semblent échapper aux outrages du temps et possèdent d’étonnants pouvoirs psychiques.
Acte trois avec Ed Brubeck, ancien ami d’enfance, devenu désormais le compagnon de Holly. Ed est reporter de guerre, un défoncé du boulot et un accro à l’adrénaline, la guerre c’est sa vie et Holly l’accepte mal, surtout depuis qu’ensemble ils ont eu cette merveilleuse petite fille nommée Aoife (prénom irlandais issu du gaélique qui signifie Eve). Le couple connaît sa pire crise au moment où l’enfant de cinq ans, disparaît en plein milieu d’un mariage, rappelant la triste disparition du jeune frère de Holly de longues années auparavant. Aoife sera finalement retrouvée (grâce aux fameuses intuition de Holly), non sans avoir au passage fait la rencontre de Désirée Constantin, qui n’est autre que le bras droit d’un certain A. Pfenninger.
Acte quatre. Crispin Hershey, écrivain sur le déclin, longtemps surnommé “l’enfant terrible” des lettres britanniques (tiens tiens, un peu comme un certain David Mitchell), aura lui aussi une incidence sur la vie de Holly Sykes, entre temps devenue auteur d’un livre à succès. Crispin et Holly (désormais veuve) se croiseront à de multiples reprises sur des salons littéraires et finiront par forger une amitié solide, malgré le caractère entier, voire franchement désagréable, d’un Crispin Hershey qui peine à encaisser sa baisse de popularité.

"Le plan A consistait à alerter la Terre entière par la poésie. Mais c'est un échec. Il va donc falloir passer au plan B."

L’essentiel de l’intrigue étant désormais dévoilée, le lecteur aura compris que Holly, personnage central du roman, se retrouve bien malgré elle au coeur d’une bataille séculaire, qui oppose depuis plus de deux siècles les Horlogers et les Anachorètes, des immortels aux pouvoirs psychiques considérables, qui se livrent une guerre fratricide. Les premiers tentant par tous les moyens de protéger l’humanité du comportement prédateur des Anachorètes, qui se livrent à une forme de vampirisme psychique pour préserver leur immortalité. Cet enchevêtrement de destins pourrait paraître complexe, mais il est en réalité assez fluide, le roman étant, en dépit de sa taille imposante, facile à lire et véritablement prenant. Le talent de conteur de David Mitchell n’étant évidemment pas étranger à ce plaisir de lecture, on notera que si l’écriture reste d’une certaine élégance, le style est dans ce roman moins travaillé que dans les précédents, plus moderne et plus accessible que par le passé. L’âme des horloges aurait pu être un roman prétentieux, voire même ridicule, si David Mitchell s’était pris au sérieux, mais l’auteur fait preuve d’un recul salutaire, d’une distanciation empreinte de second degré qui évitent au roman de sombrer, ne serait-ce que d’un poil de micron, dans la farce pompeuse. Le personnage de Crispin Hershey, à travers lequel l’auteur se met en scène, en est l’exemple le plus évident, mais avouez qu’il est difficile de prendre au sérieux les membres d’une société secrète appelés Anachorètes de la chapelle du cathare aveugle. Un mot tout de même sur la fin du roman, qui rompt totalement avec le ton initial du récit et se veut plus sombre et plus réflexive, dans une ambiance crépusculaire annonciatrice d’âges difficiles. Cette rupture peut paraître abrupte pour les non initiés, mais les lecteurs de David Mitchell ne seront pas surpris par ce changement de braquet en fin d’ouvrage.

Si L’âme des horloges n’est probablement pas le roman le plus impressionnant de David Mitchell, il n’en demeure pas moins un ouvrage prenant, bien écrit et admirablement construit, auquel il manque toutefois de ce petit supplément d’âme et d’ambition, qui faisait de Cartographie des nuages un véritable petit chef d’œuvre.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

J'ai prévu de le lire. Bientôt.
Tu me teases la chose avec adresse.^^

Ubik

Emmanuel a dit…

Curieux, voire impatient, d'avoir ton avis sur le bouquin. Au passage je viens de mettre la main sur Le fond des forêts, le seul Mitchell que je n'ai pas encore lu.