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dimanche 25 juin 2017

Retour au pays : Les désorientés, d'Amin Maalouf

Est-il bien nécessaire de présenter ici l’écrivain et académicien d’origine Libanaise Amin Maalouf ? Question purement rhétorique à laquelle nous ne répondrons que ceci : si vous n’avez jamais lu la prose de cet immense écrivain, dépêchez-vous de vous procurer Les jardins de lumière, Léon l’Africain ou bien encore Samarcande. C’est un ordre !  Publié en 2012, Les désorientés est le dernier roman en date d’Amin Maalouf, mais aussi et surtout son oeuvre la plus personnelle. L’auteur s’éloigne donc du roman historique, qui a en grande partie contribué à son succès, pour nous offrir une oeuvre plus intime, une déclaration d’amour au pays qui l’a vu naître et qu’il a dû quitter lors du conflit qui embrasa le Liban au milieu des années soixante-dix.

    L’amitié et l’exil (ou plutôt le déracinement) sont au coeur de ce roman alimenté par une profonde nostalgie et dont on se demande dans quelle mesure il est autobiographique. Adam, âgé d’une cinquantaine d’années, historien reconnu, vit depuis vingt cinq ans à Paris. Depuis, il n’est jamais revenu dans son pays natal, le Liban. Jusqu’au jour où il reçoit l’appel d’un de ses amis de jeunesse, Mourad, sur le point de mourir d’un cancer et avec lequel il s’était croyait-il définitivement brouillé. Mais face à l’insistance de son ami, Adam décide de faire le voyage jusqu’au Liban afin de l’accompagner dans les derniers moments de sa vie. A son arrivée au Liban, Adam apprend que Mourad est déjà mort. Pris par la nostalgie du retour, il décide néanmoins de rester sur place, histoire de profiter de cette parenthèse pour se ressourcer. Alors, désormais envahi par les souvenirs, que les odeurs, les paysages et la langue font remonter à la surface, Adam prend la décision de renouer le contact avec ses amis et d’organiser une réunion de vieux camarades. Certains sont restés au pays, d’autres ont choisi l’exil et se sont dispersés au quatre coins du monde, quelques-uns sont morts, laissant un grand vide dans le coeur de leurs amis.

    Les désorientés n’est pas à proprement parler un roman polyphonique, car il est bien trop centré sur le personnage d’Adam, mais la construction narrative choisie par Amin Maalouf, qui alterne successivement le récit à la troisième personne, des extraits de son journal intime, ainsi que sa correspondance avec ses amis, permet de multiplier les points de vue et de donner davantage de force à un récit qui aurait pu se montrer trop linéaire. Mais si Les désorientés joue allègrement la carte de la  fibre nostalgique, ce n’est pas uniquement pour le plaisir de tirer quelques larmes au lecteur, mais pour évoquer de manière indirecte l’histoire récente du Liban, de cette guerre qui a mis à terre un pays qui demeurait jusqu’à lors la perle du Levant. Des souvenirs d’enfance aux soirées entre amis sur la terrasse de la maison de Mourad, en passant par les amours perdus ou l’histoire familiale, c’est tout le passé de ce Liban perdu qui ressurgit alors qu’on le croyait profondément enfoui. On découvre sa géopolitique complexe, liée notamment à la mixité confessionnelle d’un pays que l’on pensait plus tolérant et ouvert qu’il ne l’était en réalité (ou qu’il aurait pu être s’il n’avait pas été cerné par la Syrie et Israël), sa culture riche et sophistiquée, mais également ses démons, à l’origine d’un conflit dont plus de trente ans après les secousses continuent de faire trembler la société libanaise. Plus que l’histoire personnelle de ces vieux amis qui retrouvent leurs origines (et donc leur intégrité culturelle), Les désorientés pose des questions essentielles sur l’exil et le déracinement ; et à ceux qui seraient tentés de croire que l’on peut du jour au lendemain tirer un trait sur son passé, oublier sa famille, ses amis et ses racines, Amin Maalouf répond par la négative, infusant dans son récit une nostalgie et une mélancolie qui agissent, aussi surprenant que cela puisse paraître, comme un baume. Oui, vous pourrez vous construire une nouvelle vie n’importe où dans le monde, mais jamais vous ne vous sentirez chez vous comme dans votre pays natal, entouré par vos amis, les yeux posés sur les paysages dans lesquels vous avez grandi et assailli par les odeurs et les saveurs qui ont marqué votre enfance. La leçon pourrait apparaître comme une évidence, mais ce sont souvent les choses les plus simples qui renferment le plus de force.

9 commentaires:

Anonyme a dit…

Si je peux me permettre,"les identités meurtrieres"dans la meme veine.
Maalouf est aussi un merveilleux conteur.

Emmanuel a dit…

Je note scrupuleusement la référence. Merci !

Carmen a dit…

On aurait pu dire aussi les Dés..Orientés..apres tout ces gens ont perdu leur Orient;meme si l'écriture remplace parfois le pays natal.

Emmanuel a dit…

Oh, bien vu oui !

Carmen a dit…

Merci.j'avais beaucoup aimé"Les éxilés meurent aussi d'amour"ou la romanciere iranienne Abnousse Shalmani traite de la reconstruction apres l'exil.

Emmanuel a dit…

Merci beaucoup pour cette suggestion, que je vais noter scrupuleusement. Ne m'étant jamais frotté à la littérature iranienne, je lirai volontiers ce livre.

Carmen a dit…

Mais de rien,on essaye de varier les genres;la littérature n'ayant pas de frontiere

Carmen a dit…

"L'autre côté" de Léo Henry me tenterait,(Vu chez Ubik).
Vous connaissez certainement mieux que moi cet auteur

Emmanuel a dit…

De réputation seulement, je n'en ai jamais lu.