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mercredi 20 décembre 2017

Sociologie du monde numérique : C'est compliqué, de danah boyd

J'ai fait connaissance de danah boyd grâce à la très regrettée émission de Xavier de la Porte Place de la toile. Tout de suite, j'ai aimé son approche des problèmes : écouter d'abord, analyser ensuite, expliquer enfin dans un langage simple des réalités complexes. Sociologue chez Microsoft et professeure à la New York University, ellemène ses enquêtes de terrain comme une ethnologue. Son domaine de recherche, ce sont les rapports des gens avec les technologies numériques. Notre bonheur, c'est qu'elle restitue le fruit de ses recherches dans des livres passionnants comme un bon roman.
Les éditions C&F ont eu la très bonne idée de traduire le plus connu de ses livres qui s'intitule C'est compliqué. Il traite, comme le souligne le sous-titre, de la vie numérique des adolescents, américains bien sûr puisque le terrain de chasse de danah boyd est le territoire des États-Unis. On y parle donc des ados et de leurs terminaux informatiques, mais pas seulement. On y parle surtout de la place de la jeunesse dans la société. Et ce n'est pas si simple.
Depuis Françoise Dolto, on sait que l'adolescent·e est un cactus fragile : ça pique, ça mord, mais ça ne sait pas trop où se mettre et comment se définir par rapport aux autres. Pour les parents c'est un casse-tête : c'est trop jeune mais ce n'est plus un bébé non plus. Trouver un équilibre, c'est compliqué. Et c'est là que la guéguerre commence. Pour les adolescent·e·s, le numérique est un outil formidable pour conquérir l'espace public, se forger une vie sociale, mais aussi délimiter leur vie privée. Ce qui est compliqué, c'est que tout cela se construit avec des exigences contradictoires, et des obstacles posés par les parents qui protègent, voire surprotègent leurs enfants.
danah boyd approche la question d'un point de vue spatial très intéressant. Elle souligne combien les adolescent·e·s américain·e·s sont souvent subtilement enfermé·e·s et ne peuvent plus sortir en dehors des chemins très balisés par les parents, mais aussi par les nombreuses contraintes dues aux inégalités sociales et raciales. Pour ces ados, l'espace virtuel remplace l'espace physique de rencontre, parce que ce dernier n'est plus disponible.
Elle montre aussi que les inégalités sociales et raciales se retrouvent sur les réseaux sociaux comme dans l'espace physique, avec l'utilisation de certaines applications plus que d'autres dans certaines communautés, et des ségrégations fortes sans même parfois que les utilisateur·trices (ados et adultes confondus) s'en rendent compte !
Elle montre enfin que les peurs des parents liées à Internet ne sont que le reflet d'un malaise général de la société américaine qui amplifie les peurs diverses au point de refuser une émancipation graduelle des jeunes, alors que beaucoup de ces angoisses sont amplifiées et déformées, sans aucune mesure avec la réalité.
Ce tableau de la société américaine vue du clavier des adolescent·e·s ne reflète pas tout à fait les sociétés européennes, mais les thèmes abordés sont les mêmes là-bas et ici. Les pratiques peuvent varier, les applications évoluer au gré des nouveaux outils proposés ou des modes, selon les pays, mais les aspirations des ados et les peurs des parents demeurent.
danah boyd plaide pour un accompagnement des jeunes sur les voies informatiques comme on apprend aux enfants à parcourir la ville et les espaces physiques qui les entourent. Sur Internet, la frontière entre espace public et privé est floue, parce que cette frontière est floue dans la tête des adolescents. Elle plaide aussi pour une littératie (litteracy), un apprentissage de l'Internet sous deux angles complémentaires : les algorithmes et le code d'une part, la construction du savoir d'autre part. Elle plaide pour une confiance raisonnée dans nos adolescent·e·s.
Ce livre est rafraichissant par bien des aspects, rassurant sur l'adolescence en général, mais pose les enjeux d'une éducation au monde numérique. C'est une réflexion salutaire sur les modalités et les enjeux de cette éducation. Pour qui s'intéresse un peu à la question, il ouvre de nombreuses réflexions non seulement sur les adolescent·e·s, mais sur nos propres pratiques, en tant que parents, enseignant·e·s ou mêmes dans nos propres utilisations quotidiennes. Sommes-nous si différent·e·s de ces ados qui se construisent un réseau social, non seulement sur la toile, mais aussi dans la vraie vie ?
Décidément nos relations au numériques sont comme les relations amoureuses des jeunes, du moins si on en croit le statut massivement indiqué sur leur page Facebook : C'est compliqué...

4 commentaires:

Emmanuel a dit…

Vachement bien, j'achète !

Anonyme a dit…

Tu ne le regretteras pas. Bises et joyeux Noël à toute la tribu ! Valérie

Emmanuel a dit…

Bonnes fêtes à vous deux !

Greg a dit…

Pas faux "C'est compliqué.."
Le problème c'est quand les ados prennent le virtuel pour réel et font un mauvais usage des réseaux sociaux.Dans ce monde ultra connecté ils sont pourtant dans une ultra moderne solitude..un jeu de fourbe s'offre à eux alors.