Rechercher dans ce blog

mercredi 7 janvier 2009

Aquaforte de K.J. Bishop : la fantasy australienne au sommet


Mystère du marché du livre ou ratage d'un système éditorial qui peine à faire émerger de la masse les oeuvres essentielles de la littérature, Aquaforte, de l'Australienne K.J. Bishop est passé quelque peu inaperçu lors de sa parution en 2006 chez l'Atalante, malgré des critiques plutôt élogieuses et parfois même dithyrambiques. Très honnêtement, ce roman traînait dans ma bibliothèque depuis plusieurs mois, sans que je trouve l'ouverture d'esprit suffisante pour en entreprendre la lecture, préférant sans doute céder au sirènes de la fantasy facile (qui a dit Robin Hobb ?). Mais il faut souligner pour ma défense que le roman de K.J. Bishop est affublé, dans sa version française, d'une illustration de couverture particulièrement atroce. Pourtant, la critique d'un certain Ubik, un pousse-au-crime bien connu des services de police, me titillait inconsciemment et inlassablement. Une ritournelle insupportable qui un beau jour de décembre a eu raison de moi. Voilà, sachez que je ne regrette rien, Aquaforte est une merveille et ceux qui ne l'ont pas encore lu se privent de l'un des meilleurs romans de fantasy publiés au cours de ces vingt dernières années (oui, j'aime bien exagérer un tantinet).
Dans les déserts des contrées de cuivre, les destins de Raule, la femme médecin, et de Gwynn, le mercenaire endurci mais raffiné, se croisent et s'entrecroisent à l'occasion d'une fuite désespérée face à la répression du pouvoir. En des temps désormais révolus, Gwynn et Raule croyaient en un avenir meilleur et, pétris d'idéaux, tentaient de mener les révolutionnaires au terme de leur combat. Désormais, leur fuite les conduit vers Escorionte, fabuleuse et luxuriante cité-état érigée sur les rives d'un fleuve tropical. Gangrénée par de puissants cartels, dont l'activité essentielle repose sur le commerce d'esclaves et le trafic d'armes, Escorionte est une pustule nauséabonde affichée sur la face du monde, sa beauté n'est que de façade car ses entrailles accueillent le vice et l'horreur. Gwynn le cynique s'en accomode parfaitement en devenant l'un des lieutenants du principal parrain de la ville, alors que l'idéalisme brisé de Raule souffre, malgré un pragmatisme affiché au quotidien dans son rôle de médecin à l'hôpital paroissial du quartier le plus miséreux de la ville. Raule et Gwynn ne se croisent que rarement, leur passé commun les lie durablement, mais l'amitié souffre de cette différence de perception qui caractérise les deux protagonistes.

Le médecin soigne et guérit les blessures et les maladies infligées par un quoditien d'une incroyable dureté, mais Raule ne peut rien contre la corruption, la pauvreté, la saleté et le désespoir. La révolte de Raule est pourtant contenue, presque résignée ; elle observe la misère humaine de manière clinique, comme elle collectionne dans son petit musée des horreurs les foetus malformés et autres monstruosités des bas fonds d'Escorionte. Gwynn ne s'embarrasse guère de ces considérations. Sa vision d'Escorionte est à la fois pragmatique et cynique, jusqu'au jour où il fait la rencontre de la fascinante Beth, une artiste à la mesure de la folie qui règne dans cette cité.

Sans doute le terme « fantasy » est-il assez mal choisi, tant le roman de K.J. Bishop échappe avec bonheur à toute tentative de classification. Peut-être serait-il plus judicieux de rapprocher Aquaforte d'oeuvres similaires, comme par exemple un certain Perdido Street Station. Même atmosphère d'étrangeté, même richesse dans la création d'un univers très personnel, même profondeur des personnages et probablement une capacité égale à nous transporter ailleurs. La plume de Bishop n'est d'ailleurs pas en reste et n'a pas à rougir face à la maîtrise affichée dans ce domaine par China Mieville. L'écriture est riche et élégante, langoureuse et fascinantte, échappant au formatage calibré que nous proposent trop souvent les écrivains anglo-saxons oeuvrant dans le domaine de l'imaginaire. La plume de l'auteure est aussi rafraîchissante qu'une bulle de champagne après un déjeuner trop copieux, un souffle d'air frais nécessaire qui réconciliera certainement ceux qui étaient fâchés par l'écriture au kilomètre des bucherons asthmatiques de la BCF.

Mais là où Bishop fait encore plus fort c'est qu'elle allie parfaitement la forme et le fond. Son roman est non seulement fascinant, mais il est de plus d'une rare intelligence car son sens de la narration ne prend jamais le pas sur la réflexion et l'introspection. Ses personnages prennent le temps de vivre et de penser, et ça c'est assez nouveau dans ce domaine de la littérature. Il n'y a pas dans Aquaforte d'intrigue prenante à proprement parler, ni même de suspense haletant, pas d'action forcenée ou de révélation fracassante, pas de sauveur d'un monde juste et innoncent, pas d'artifices en somme. Et pourtant le lecteur est envouté, fasciné par la beauté monstruseuse de l'univers de K.J. Bishop, preuve que la fantasy à encore de belles choses à nous offrir. L'oeuvre de l'Australienne est une vaste mise en abyme astucieusement construite et quasiment philosophique, dont évidemment on sort irrémédiablement bousculé, secoué, voire K.O. Tous genres confondus, la littérature est ici à son sommet.

K.J. BISHOP. Aquaforte. L'Atalante, 2006.

vendredi 6 avril 2007

Transfugez moi

Transfuge vous connaissez ? Eh bien moi non plus jusqu'à une date assez récente. Il faut dire que ce magazine consacré à la littérature étrangère est encore jeune puisqu'il vient tout juste d'atteindre son quinzième numéro. Distribué uniquement en librairie ou sur abonnement, Transfuge est tiré à un peu plus de 3000 exemplaires et inutile de vous dire qu'en dehors des grandes villes il est assez difficile de se procurer l'objet.

J'ai donc reçu ce matin le dernier numéro et le moins que l'on puisse dire c'est qu'il répond parfaitement à mes attentes. Gros dossier sur la littérature indienne contemporaine (de langue anglaise), nombreuses chroniques, interviews à gogo (Julian Barnes, William Boyd, William H. Gass, ...), portraits, entretiens-débats, ..... il y a de quoi faire. L'équipe rédactionnelle est de qualité et semble suffisamment ouverte et tolérante pour aborder toutes les facettes de la littérature, y compris les mauvais genres quand cela est nécessaire, ce qui n'est pas la moindre des choses en ce temps d'intégrisme littéraire.

Bref, je pense que je ne regretterai pas mon abonnement, qui a le bon goût de ne coûter que 26€ (le magazine est bimestriel), d'autant plus qu'en vous abonnant on vous offre un numéro hors-série. Que demande le peuple ? Ah oui, un lien vers le site web de transfuge : www.transfuge.net

Fantasy suédoise

Voici une petite note de lecture extraite d'un papier qui n'a jamais été publié sur le cafardcosmique, site consacré à la SF sur lequel votre serviteur sévit régulièrement. Dommage, on y causait entre autre de la (plus si nouvelle) collection Points fantasy, dans laquelle il faut bien l'avouer plus d'un an après, il n'y a pas grand chose à sauver. Si ce n'est, trois au quatre romans tout à fait intéressants : Fendragon de Barbara Hambly, L'abîme de John Crowley et Les brigands de la forêt de Skule de Kerstin Ekman.


Fendragon, de Barbara HAMBLY

En voilà un petit roman sympathique qui réussit à tirer son épingle du jeu. "Fendragon" est l’histoire d’un vague tueur de dragon dont les exploits ont pratiquement été oubliés de tous, sauf d’un doux rêveur venu de la capitale pour louer ses services. Mais lord John Aversin n’est plus l’homme d’il y a vingt ans ; fatigué, marié et père de deux enfants [ce qui doit probablement expliquer cette fatigue], perclus de douleurs par les séquelles de son combat passé, le seigneur des marches du Nord, contrée oubliée et négligée par le pouvoir central, préfère organiser la défense de sa place et conter des anecdotes sur les cochons, plutôt qu’aller vadrouiller du côté de la capitale pour sauver le postérieur de ces messieurs et dames de la cour.

Plutôt intelligent et enlevé dans sa première partie, le roman s’enlise malheurseusement quelque peu par la suite dans un récit un tantinet convenu et bien plus classique. Heureusement, Barbara HAMBLY saupoudre son récit d’un humour fort à propos incarné principalement par lord John Aversin. Le personnage du "Fendragon" est tout sauf conventionnel ; sorte de péquenot pince-sans-rire d’une rare intelligence, courageux mais pas vraiment héroïque, attaché à des valeurs qui paraîtraient éculées, mais en tout état de cause extrêmement attachant. La grande réussite de l’auteur est d’avoir su se jouer des poncifs du genre tout en gardant une structure de récit simple et efficace. A cela s’ajoute des personnages d’une rare profondeur et une briéveté tout à fait salutaire en ces temps de trilogies et autres décalogies à rallonge. C’est court, intelligent et bien foutu. Que demande le peuple ?




Les brigands de la forêt de Skule, de Kerstin EKMAN

Figurant au line-up de de la collection Points Fantasy dès mars dernier, ce roman de Kerstin Ekman, auteur suédoise figurant au catalogue de l’excellent éditeur Actes Sud, est un peu passé inaperçu, y compris au cafardcosmique. Grave erreur cher lecteur, tant ce roman est une excellente surprise, un grand livre qui mérite un autre sort que de pourrir au fond d’une caisse d’un libraire surchargé par les nouveautés. Admirablement écrit et superbement traduit, ce roman s’inscrit dans la longue tradition du conte scandinave et ne manque pas de surprendre par une liberté de ton assez stupéfiante. Qu’on se le dise, ce roman écrit avec une apparente facilité et un ton quelque peu badin est en réalité bien plus grave et féroce qu’il n’y parait. L’histoire a le mérite de la simplicité et nous invite à suivre le parcours à travers les âges d’un jeune troll nommé Skord, du Moyen-Age jusqu’au XIXème siècle. Au premier abord, Skord n’est guère différent d’un enfant, son apparence un tantinet sauvage s’estompe au fil des années. Pourvu d’une rare intelligence et étranger à la morale des hommes, Skord est bien décidé à se faire passer pour un humain, mais pour cela il est obligé de ruser et de changer régulièrement d’identité, quoi de plus étonnant en effet, qu’un être humain qui reste toujours le même alors que les outrages du temps frappent les plus belles femmes et les hommes les plus illustres. Vivant dans ses premières années de vagabondages en compagnie de deux jeunes orphelins, il parcourt la Suède, devient le compagnon d’un homme de lettres, puis brigand ou bien encore alchimiste, il fera même la rencontre d’un Descartes vieillissant.

Le roman est d’une très grande richesse et d’une rare érudition, véritable rencontre avec une culture et une histoire longue de plusieurs siècles. C’est toute l’évolution d’un pays que retrace Kerstin Ekman à travers le parcours de Skord, celle de la disparition de l’ancienne tradition païenne au profit d’une culture judéo-chrétienne (protestante plus précisément). Le thème n’est pas nouveau, mais il est ici traité avec un talent, une subtilité et une maestria qui forcent le respect et ne peuvent manquer de remporter l’adhésion du lecteur. Certes, le roman est un peu lent, parfois un peu long et certains passages manquent de densité, mais c’est tellement bien écrit que l’on en tombe d’admiration. C’est beau, c’est grand, c’est suédois et non ce n’est pas Ikéa. Plus sérieusement, achetez ce roman, lisez-le et pleurez de bonheur.



Blog à gogo(s)

Après avoir craché, non sans plaisir, pendant des plombes sur le phénomène blog, j'ai donc cédé aux sirènes de l'épanchement nombriliste et du verbiage intempestif sur la toile. Que les gardiens du temple se rassurent, il n'est point ici question de révélations fracassantes sur ma vie sexuelle et amoureuse, ni même de billets croustillants sur les conditions de travail en milieu hostile, qui caractérisent la profession sinistrée d'enseignant documentaliste ; non non, juste un désir irrépressible de communiquer mon amour des livres et de la littérature en général. J'en vois déjà qui se barrent, déçus de ne pas assister à un énième déballage impudique et grossier de tranches de vie. Faites donc, que nous restions entre gens de bonne compagnie, entre "has been" réfractaires au changement de paradigme. Je ne sais pas encore si le Net tuera le livre, à priori c'est bien parti, mais une chose est sûre, pour causer lecture c'est tout de même un formidable outil.

Et puis soyons honnêtes, la raison d'être de ce blog est née de mon incommensurable paresse, qui me défendait de mettre à jour régulièrement les anciennes tentatives destinées à faire de moi un webmaster accompli. Fini le html, fini Filezilla et autres joyeusetés du parfait petit webmaster, désormais je me contente d'écrire, et c'est déjà pas mal. A noter que les premiers billets de ce blogs seront en grande partie constitués de recyclage de chroniques publiées ici et là, sur différents forums spécialisés, sites semi-pros ou ezines à la mode. Je vous ai déjà dit que j'étais un gros fainéant ?